Un constat : la numérisation et l’automatisation des tâches grâce au numérique ont envahi l’activité du gestionnaire de copropriété. Les gains de productivité, de temps, la plus grande facilité sont mis clairement en avant.
Vis-à-vis des collaborateurs, la digitalisation est portée par une promesse d’amélioration de la productivité. Il s’agit de « simplifier » voire d’automatiser les « tâches à faible valeur ajoutée » afin d’en « libérer » les collaborateurs (Nouvel entrant). Ainsi la dématérialisation des factures et la mise en place d’EDI (processus d’Echange de Données Informatisées) a réduit considérablement le travail de saisie : « l’enfer des comptables » (Ecole). Autre exemple, la portabilité des outils informatiques qui a fait diminuer le travail de rédaction des comptes-rendus (de visite, d’AG.…) effectué jusqu’ici par les assistantes.
(Barnhusen et al., 2023, p. 130)
Cependant, d’autres conséquences sont également perceptibles, comme une « réorganisation »1 ou une « spécialisation »2 des missions des cabinets de syndic. Nous en avons retenu quelques-unes qui ont principalement trait aux problématiques de communication et à la relation client en lien avec la digitalisation.
Pas de transparence sans pédagogie
La mise en place de l’extranet a permis de répondre à une demande du législateur, en écho à celles des copropriétaires, d’une plus grande transparence dans la gestion menée par les syndics. 44 % des copropriétaires interrogés dans une enquête menée par l’IFOP en 2022 pour Homeland placent la « transparence » comme la qualité la plus importance pour un syndic (IFOP & Homeland, 2022, p. 21). Et, depuis la Covid-19, le métier de syndic a encore plus évolué. Avec la mise en place du télétravail, les cabinets se sont dotés d’outils, de hubs d’information pour traiter immédiatement leurs copropriétés : rédiger des rapports de visites techniques en ligne, répondre à des demandes, éditer des ordres de service ; le tout, en dehors de leur bureau. Ces outils de gestion, qu’ils soient développés en interne par les groupes ou les syndics tels qu’Homeland, ou proposés par des éditeurs comme les progiciels Powimo ou Kolimmo, permettent la réappropriation du portefeuille du syndic. De plus, lorsque ces outils concatènent tous les éléments d’échanges, même les mails, ils offrent une vitrine réaliste des actions faites par le syndic auprès de ses copropriétaires, chiffres et activités à l’appui.
« Toute cette digitalisation est faite naturellement pour accroître la transparence vis-à-vis des clients » (Groupe). Il s’agit de rendre les copropriétaires plus autonomes dans l’accès à l’information sur la copropriété. L’extranet les autorise en effet à consulter directement les informations sans avoir besoin de passer par l’entremise du syndic. « Après tout, le métier du syndic n’est pas de faire et d’envoyer des scans de documents... » (Association de copropriétaires). Cette fonctionnalité est particulièrement intéressante pour les membres du Conseil Syndical qui ont pour mission de contrôler le travail du syndic.
(Barnhusen et al., 2023, p. 131)
Cette notion de transparence est désormais intégrée par les différentes typologies de syndics professionnels : du syndic digitalisé comme Homeland – dont « l’objectif est d’apporter plus de transparence aux copropriétaires et libérer du temps aux gestionnaires de syndic » (Mundubeltz-Gendron, 2019) » – au petit cabinet plus traditionnel pour lequel :
La digitalisation, c’est un gain de temps et une simplification. Et la transparence totale au niveau des clients également. On ne peut plus dire maintenant, et je ne veux plus entendre un conseil syndical qui me dit « on n’est pas au courant », car ils ont la vision de tout. Pour certains, par exemple, ils ont directement accès aux comptes bancaires pour visualiser, sans faire d’opération. Mais ils savent exactement ce qu’on fait, donc on ne peut pas tricher. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Cela a été mon leitmotiv pendant des années, mais là, aujourd’hui, c’est encore plus flagrant. On a une transparence totale, on est tranquille. On ne peut pas nous dire « je ne suis pas au courant. »3
Par cette digitalisation, l’intention est posée : mettre l’information en accès « libre » pour être moins sollicité et ainsi libérer du temps. L’enjeu de la transparence apparaît comme une solution pour une « relation apaisée » (Fabrice Rebut dans Dahan, 2023a) : « La digitalisation va permettre d’informer nos clients beaucoup plus facilement et leur apporter une certaine sérénité parce qu’ils peuvent suivre l’avancée de leurs projets. »4 Toutefois l’enjeu principal du syndic reste celui de la productivité, du temps, qui manque pour se consacrer à des missions toujours plus nombreuses. Or « donner » à lire, à contrôler, à informer, permet-il vraiment de gagner du temps ?
[La digitalisation] permet aussi de diluer « au fil de l’eau » l’information aux copropriétaires, au lieu de tout concentrer sur l’AG annuelle. … Toutefois, des acteurs remarquent que le nombre de mails adressés par les copropriétaires aux gestionnaires ne diminue pas avec la mise en place de ces solutions digitales. « La moitié ce sont des demandes sur des documents qui sont déjà sur les extranets » (Association professionnelle).
(Barnhusen et al., 2023, p. 131).
Ainsi, même avec un extranet renseigné, les syndics continuent à recevoir beaucoup de mails et d’appels pour demander des informations ou des documents. Transmettre une information ne suffit pas. Il est nécessaire de faire preuve de pédagogie.
Il y a tout un sujet qu’on doit approcher maintenant, c’est celui de la communication et de l’accompagnement de nos clients ; je dirai presque, de la formation de nos clients. Il y a un vrai travail à faire à ce sujet. Et quand on aura réussi, on sera beaucoup plus serein dans la gestion, parce qu’ils sauront utiliser l’outil de la bonne manière.5
Il faut trouver des moyens d’informer et de former les clients à la lecture des documents qu’ils ont afin qu’ils arrêtent de nous téléphoner alors qu’ils ont tous les éléments pour. Si on ne fait pas de pédagogie dans ce métier-là, c’est mort. Mais la pédagogie, c’est fatigant, et ça demande du temps. … Il ne faut pas aussi oublier la question de la rentabilité.6
Le temps est également un enjeu pour les clients, qui ont une exigence de plus en plus forte en termes de réactivité, comme le rappellent les différentes enquêtes et baromètres sur la relation syndic-copropriétaires : « La principale qualité d’un syndic devrait être sa réactivité (35 %) alors qu’il s’agit du point sur lequel les copropriétaires sont le moins satisfaits » (CLCV & Notre Temps, 2021, p. 19). La réactivité dans le traitement des demandes devient même une priorité pour « 53 % des copropriétaires » (IFOP & Homeland, 2022, p. 21). « Dans un monde où l’information est disponible instantanément et où les services en ligne sont de plus en plus rapides, ces copropriétaires peuvent rapidement se sentir frustrés lorsque leurs attentes ne sont pas satisfaites » (Biguet, 2023).
« Nous sommes, avec les nouvelles technologies, en état de faire toujours plus vite. Infiniment plus vite. Le numérique et le digital nous projettent dans une course effrénée dont le rythme nous est devenu si familier qu’il remodèle notre rapport à la connaissance. »
(Linhart, 2021, p. 32 cité par Distler., 2021, p. 98)
« La relation doit donc être immédiate, responsive, mais aussi unique et innovante. En effet le client est de plus en plus mobile et exigeant » (Locomotiv’, s. d.). Demande de réactivité exacerbée avec les nouveaux outils et canaux de communication, comme les logiciels de gestion immobilière où les copropriétaires peuvent visualiser de manière quasi instantanée le suivi des incidents. C’est le cas chez Homeland qui propose un extranet en exact miroir avec leur outil de gestion.
Cependant :
Plus on en donne, plus on nous en demande. Plus on habitue nos copropriétaires à un certain standard, plus ils vont être exigeants là-dessus aussi. … On espère qu’en accompagnant, en communiquant et en donnant de la matière à nos copropriétaires, ils seront peut-être moins exigeants, enfin pas moins exigeants, mais ils trouveront la réponse par eux-mêmes.7
Toujours face à cette exigence de réactivité, la réponse proposée est la pédagogie.
Donc il faut apprendre aux clients à utiliser les outils, mais aussi à être patient. Ce n’est pas parce qu’ils ont fait un mail qu’on va leur répondre tout de suite, ni un sms. Il faut leur apprendre qu’il y a des réponses qui demandent du temps.8
Une relation digitalisée mais humaine
D’un côté, cette digitalisation des relations facilite la communication, avec la mise en place d’outils de rapports d’incidents via l’intranet des copropriétaires ou autre. Cette fluidification lève les freins et les obstacles à la communication entre le copropriétaire et son syndic, ce qui autorise aussi la multiplication de sollicitations et de signalements, pertinents ou non. Ainsi l’email, à ses débuts, avait été accueilli comme un facilitateur de communication pour devenir actuellement une « plaie » pour tous les cabinets de syndic. Ces derniers croulent sous les demandes diverses et variées pas toujours adaptées, demandes qui n’ont pas été réduites malgré la mise à disposition d’un extranet avec en accès libre aux copropriétaires un grand nombre de documents. Proposer aux copropriétaires de nouveaux outils de communication essaie de répondre à une demande toujours présente de… communication, justement. Alors que l’information est transmise par un nombre grandissant de canaux de communication, le nombre de signalements ne diminue pas, parce que « c’est plus facile maintenant de prévenir son syndic ».
Aussi apparaît-il pertinent de s’interroger sur ce qui est sous-jacent à cette exigence de transparence et de réactivité bien identifiée par les syndics professionnels. Car digitaliser la relation c’est aussi instaurer une distanciation avec le réel. Distance avec la réalité du terrain qui ne peut être remplacée par la prise de photos ou l’organisation de réunions Teams. Être sur le terrain, rencontrer les copropriétaires, se rendre compte de visu des problèmes… Le contact physique reste toujours nécessaire pour rassurer et convaincre. Ainsi, le maintien du relationnel fait partie des qualités des syndics les plus fortement attendues (CLCV & Notre Temps, 2021, p. 19)9. C’est pourquoi « les petits cabinets sont souvent appréciés pour leur proximité et leur gestion plus “humaine” » (CLCV & Notre Temps, 2021, p. 15).
Ce besoin de relationnel est également relevé par les professionnels en gestion de copropriété interrogés dans le cadre de notre étude : « Notre métier ne se limite pas à des documents sur un écran c’est un métier de contact ! » ; « Tout ne peut être digitalisé, on reste un métier de terrain, il faut voir sur place, se déplacer... »10 Quantitativement, sur 52 réponses concernant les freins ou les craintes envers la digitalisation, 20 évoquent un impact négatif sur les relations clients et la qualité de service (voir annexe 1).
Pour les syndics, cette relation humaine de confiance reste primordiale : « C’est le côté relationnel qui est prioritaire. Il faut qu’il y ait une relation qui existe entre le syndic et ses copropriétaires. … C’est la relation qui est importante. »11
On ne peut pas tout digitaliser dans le métier de syndic. La majorité de nos clients, par exemple, serait opposée à avoir un chatbot12 pour gérer leur copro. Ils ne seraient pas contents parce qu’ils ont besoin de sentir qu’ils ont un humain derrière, qui est à l’écoute de leurs problématiques, parce que les problématiques sont complexes également.13
Au-delà même de la relation humaine, la demande porte sur le caractère personnalisé de cette relation (Vertone, 2023, p. 4).
On a besoin d’avoir un interlocuteur, et même... un interlocuteur fixe ! Quand on perd une copro, on la perd parce que le gestionnaire a changé, la personne a perdu ses repères et ça ne va plus. Finalement, on se rend compte que c’est un métier qui est tellement humain que quand on change d’humain en face, et bien ça peut changer complètement notre relation avec notre syndic. 14
L’attente est encore plus grande avec la digitalisation. Celle d’une relation de proximité, personnelle, de confiance attendue par les copropriétaires. Du côté des gestionnaires, une autre attente, peut-être en réponse, est également souhaitée : celle d’une participation plus active de ses interlocuteurs.
Pour plus d’implication
L’absentéisme aux assemblées générales est tel que le législateur a dû intervenir à plusieurs reprises pour diminuer le seuil de la majorité requise pour certaines résolutions (travaux de sécurisation par exemple) ou en instaurant la possibilité de procéder à une sorte de « vote de rattrapage » (instauration de passerelle de majorité). Et les résultats de notre étude montrent effectivement un réel problème en ce domaine.
(CLCV & Notre Temps, 2021, p. 29)
Le baromètre réalisé par l’association Consommation Logement cadre de vie (CLCV) pour Notre Temps en 2021 fait état d’une moyenne de participation aux AG d’à peine 50 %, un taux similaire à la précédente enquête de 2012. En réponse à ce désengagement, la loi ELAN offre la possibilité de réaliser les AG à distance, en visioconférence ou par correspondance, comme nous l’avons vu précédemment. La volonté du législateur est d’augmenter le taux de participation.
La digitalisation est perçue comme un levier pour faciliter la participation des copropriétaires à la gestion de leur immeuble. Ainsi, les nouvelles modalités de participation à distance aux AG sont vues par certains comme une opportunité pour résoudre le problème chronique de « l’absentéisme » qui peut empêcher d’obtenir les majorités nécessaires aux décisions. La consultation et la concertation seraient facilitées au travers des plateformes, permettant de faire des « sondages », « boîte à idées », « mur collaboratif » pour remonter directement les besoins des copropriétaires, sans le filtre du Conseil Syndical. Ces outils sont aussi présentés comme une possibilité pour impliquer les locataires dans la vie de la copropriété, et par là même de mobiliser leurs propriétaires bailleurs. « C’est d’autant plus nécessaire avec tous les Pinel qui ont été construits et qui sont remplis de locataires » (Institution).
(Barnhusen et al., 2023, p. 132)
En effet « l’autre point justifiant l’absentéisme est l’éloignement géographique (32 %). Un argument objectif et qui se justifie puisqu’il n’est pas toujours aisé de participer à une assemblée lorsque l’on réside à plusieurs centaines de kilomètres de l’immeuble en question » (CLCV & Notre Temps, 2021, p. 32). D’une part, les outils d’AG en ligne éliminent les contraintes horaires et physiques et offrent ainsi plus de flexibilité aux copropriétaires qui peuvent désormais prendre part aux discussions depuis chez eux. Immosquare, qui propose l’outil d’AG en ligne AG Connect, annonce que « depuis 2020, plus de 5 000 AG ont été réalisées avec AG Connect. 32 000 participants à travers le monde entier. 80 % des AG ne sont plus reconvoquées grâce à l’AG en ligne et 65 % d’entre elles sont tenues sur des horaires de bureau ! » (Gaël Vincent dans Dahan, 2024).
D’autre part, la possibilité de mener des AG en journée constitue un argument pour le recrutement de nouveaux gestionnaires :
Pour fidéliser les gestionnaires, la tenue des Assemblées Générales en journée est une proposition qui fait consensus auprès de plusieurs enquêtés (Syndicats professionnels, Associations professionnelles, Groupes) dont certains l’ont déjà défendue publiquement15. Ce changement serait de nature à fortement améliorer les conditions de travail des gestionnaires. « C’est devenu un sujet d’attractivité : dans les descriptions de postes, il est maintenant marqué que les AG sont faites en journée » (Association professionnelle) ».
(Barnhusen et al., 2023, p. 129)
Cependant, le changement d’horaires n’est pas sans risque quant à la participation des copropriétaires.
Comme le fait remarquer une association de consommateurs, le risque de défection se reporte alors du côté des copropriétaires et de leur participation aux AG : « déjà qu’il n’y a personne aux AG, il y aura encore moins de monde » (Association de copropriétaires).
(Barnhusen et al., 2023, p. 129)
Alors comment les syndics vont-ils s’approprier ces nouveaux modes de participation ? Si certains groupes plus digitalisés les intègrent dans leur process, leur mise en place par les cabinets plus familiaux n’est pas encore généralisée.
Pourtant :
Considérant la vision souvent restreinte, pour ne pas dire étriquée, que peut avoir le grand public sur les activités des syndics de copropriétés, nous pouvons avancer que la mise en place à grande échelle des assemblées générales en visio conférence peut être considérée comme une réelle avancée sociologique pour cette profession, et nous pouvons espérer que ce genre de dispositif permettra, pour sa part, de montrer que ce métier est capable d’évolution, afin de faciliter la vie des copropriétaires.
(Cheminant, 2021, p. 49)
La digitalisation de la gestion de copropriété engendre des attentes et des modifications profondes dans la relation gestionnaire-copropriétaires : plus de transparence et de réactivité, davantage de pédagogie car informer n’est pas communiquer, plus de participation et d’implication. Le syndic se doit d’évoluer face à ces changements, tout comme ses interlocuteurs.
Des clients devenus experts
Accès à l’information avec internet, autoformation en ligne avec les podcasts16 ou les MOOC17 qui permettent de suivre des cours dans n’importe quel domaine, n’importe quand et de n’importe où… La digitalisation de notre société a également entraîné une transformation dans le domaine de l’immobilier, avec une nouvelle réalité où les clients sont devenus experts.
Le rôle du client a profondément évolué ces vingt dernières années sous l’impulsion des technologies digitales qui permettent d’accéder aux informations aisément, et sans grandes contraintes. Le client s’informe, compare, échange, se fabrique des savoirs et parfois une expertise. La manipulation quotidienne des outils digitaux par tout un chacun permet de s’orienter dans le maquis des informations et de capitaliser des savoirs. Le client expert n’est désormais plus un consommateur qui doit être convaincu par un produit/service, mais un client autonome, sachant, compétent pour donner son avis sur le produit. … La digitalisation de la société a contribué à fabriquer des experts clients dans tous les secteurs de l’économie. En effet, la notion de l’empowerment client, littéralement, « donner du pouvoir au client », s’est développée et accélérée avec l’expansion de la digitalisation.
(Distler, 2023, p. 91-92)
Cette évolution met en lumière la capacité des clients à se former et à s’approprier des connaissances qui étaient autrefois réservées aux professionnels. « Ces outils [digitaux] apparaissent facile d’accès et se sont démocratisés. Le grand public fait usage au quotidien d’une multiplicité de possibilités de communication et de gestion de l’information » (Rasolofo-Distler, 2021, p. 12). Ainsi, la digitalisation joue un rôle crucial dans la fabrication de l’expertise des clients, en leur donnant les moyens de se former et de s’informer sur les différents aspects de la gestion immobilière : « Les technologies numériques permettent aux propriétaires, particuliers comme professionnels, de se réapproprier la gestion de leurs biens dans l’achat-vente, la gestion locative et la maintenance… » (Rivaton & Pavanello, 2020, p. 95).
Désormais autonomes et indépendants, les clients n’hésitent pas à remettre en question le rôle du professionnel.
« Les copropriétaires ont évolué dans leur connaissance sur la gestion de leur bien, enfin pas tous mais certains. Ils sont de mieux en mieux informés du fait d’Internet et des sites en ligne. … Certains copropriétaires bien informés tendent à vouloir quasiment dicter la gestion de la copropriété, car ils ont des notions en gestion, en compta, en droit de la copropriété, et toutes ces notions de base ils l’acquièrent facilement sur le net en quelques clics, mais le gros de la gestion c’est moi qui le fais, car évidemment ils n’ont pas le temps mais je peux vous dire que les clients ont changé surtout ceux que l’on appelle les clients bien informés ».
(propos d’une gestionnaire - Distler, 2023, p. 98)
Ainsi, leur attente principale est une réponse immédiate à leurs demandes, ainsi qu’une personnalisation des échanges en fonction de leurs préférences. Cette expertise croissante exige des professionnels de l’immobilier une technicité crédible et une adaptation permanente pour répondre aux besoins de leur clientèle. Dans le contexte de la gestion de copropriété, les clients remettent en question les pratiques et les décisions des professionnels, voire leur poste.
Un gestionnaire de copropriété avance le fait que certains clients sont investis dans la gestion de leur copropriété et ont pris à bras-le-corps leur fonction de représentation des copropriétaires. Ces derniers contestent les chiffres avancés, les bilans comptables, les choix des prestataires, parfois ils font le travail du syndic en diffusant l’information et en gérant les appels à provision… le gestionnaire ajoute : « On se demande parfois si on ne va pas déléguer notre travail. »
(Distler, 2021, p. 91)
Face à ces clients experts, les professionnels de la gestion de copropriété doivent s’adapter. Tout d’abord, détenir et maîtriser un savoir-faire technique, juridique et commercial afin de répondre aux exigences croissantes de leurs interlocuteurs. Cette formation continue indispensable est en partie comblée par l’obligation de formation introduite par la loi ALUR de 201418 pour garantir une mise à jour des connaissances sur les aspects commerciaux, économiques, juridiques mais également les innovations concernant l’urbanisme, la transition énergétique, la construction ainsi que la déontologie. Ensuite, avec ces clients informés, exigeants, et plus actifs dans la gestion de la copropriété, la relation doit nécessairement évoluer vers une dynamique de « co-construction de projet » (Distler, 2021, p. 98), où le syndic professionnel agit comme un facilitateur plutôt que comme un simple fournisseur d’informations. « Le rôle du professionnel n’est plus tant d’apporter des éclairages techniques pour certains clients mais d’apporter un soutien et un accompagnement dans les phases d’acquisition d’un bien ou de leur gestion » (Distler, 2023, p. 99). Dans ce nouvel équilibre, le « client » peut devenir un « interlocuteur de confiance » « du fait des compétences acquises par le biais de son investissement personnel et sa curiosité des textes et des techniques de gestion » (Distler, 2021, p. 91). Cette transformation, comme l’observe Franck Distler, oblige les « experts » à se professionnaliser en permanence par le biais de formations continues et à se distinguer en termes de valeur ajoutée. « Il devient essentiel pour les professionnels de se réinventer et d’adapter leurs méthodes pour accompagner les clients, en tenant compte de leur expertise croissante et de leurs attentes plus complexes » (Distler, 2021, p. 92).
En conclusion, la digitalisation de l’activité de syndic entraîne une évolution significative dans la relation entre gestionnaire et copropriétaires. Les nouvelles technologies posent de réels défis aux syndics : ils doivent répondre aux attentes de plus en plus complexes de leurs clients, certains étant devenus de véritables experts ou plus participatifs avec la mise en place d’AG en ligne. De plus, la plupart des copropriétaires sont désormais plus autonomes et indépendants car ils bénéficient d’un accès facilité à l’information ainsi qu’à une transparence accrue concernant les données de leur copropriété. En conséquence, les syndics doivent faire preuve de pédagogie et de réactivité en adaptant leur communication de manière personnalisée aux exigences de leurs interlocuteurs. Face à ces défis, la digitalisation renferme également des solutions potentielles : elle offre des outils qui favorisent une participation accrue des copropriétaires, tout en présentant le risque de les éloigner davantage. Et bien qu’elle puisse déshumaniser la relation ou la distancier, la digitalisation crée également les conditions pour cultiver des relations plus proches et sur mesure en permettant une meilleure gestion du temps.
Si la digitalisation a apporté des avancées et a transformé le métier de gestionnaire de copropriété, un nouveau bouleversement semble se profiler avec l’arrivée de l’IA. Cette révolution technologique représente une étape qualitativement différente. C’est pourquoi la présence d’un chapitre sur l’IA nous apparaît nécessaire. Dans cette prochaine partie, nous présenterons l’IA, en expliquant ses concepts fondamentaux et ses applications dans le domaine de l’immobilier. Cette approche nous permettra de donner un aperçu des bases de cette technologie et de son potentiel dans ce secteur. Nous aborderons ensuite les impacts de l’IA sur le métier de syndic.
