Nous avons pu constater tout au long de cette étude que la Seine-Saint-Denis, à bien des égards, est un département atypique de l’Île-de-France, et ce d’autant plus si l’on compare ce territoire aux autres départements limitrophes de Paris.
En effet, comme expliqué dans la première partie de notre étude, cette singularité a pour origine les nombreuses décisions politiques urbaines prises indirectement ou directement au cours des deux derniers siècles.
Ces différentes décisions, combinées à une tendance des entreprises du xixe siècle à installer leurs usines et manufactures en Seine-Saint-Denis, en ont fait un territoire à dominante industrielle, affectant ainsi de manière importante et durable l’architecture du territoire ainsi que sa population, majoritairement composée de classes populaires.
Les décisions politiques des dernières décennies, notamment en matière de logement social et d’accueil des populations, n’ont fait qu’accentuer la paupérisation du département tout en lui forgeant une réputation négative auprès de la population française.
Ainsi, et encore aujourd’hui, le département de la Seine-Saint-Denis souffre de nombreuses inégalités par rapport à ses voisins franciliens, tant en termes de population que de qualité urbaine et de qualité de vie.
L’objectif de ce travail était donc de déterminer si l’intensité urbaine, notion explicitée dans ce mémoire de recherche, pouvait constituer un levier permettant de rendre la Seine-Saint-Denis plus attractive pour les populations peu représentées sur son territoire et ainsi atténuer les inégalités vis-à-vis des autres départements de la région. Pour répondre à cette problématique, plusieurs étapes ont été nécessaires.
Dans un premier temps, une étude sociodémographique du territoire, complétée par une étude sur la qualité de vie, nous a permis de confirmer les hypothèses émises en début de mémoire, à savoir l’absence de populations de cadres à hauts revenus dans le département ainsi qu’une qualité de vie et une qualité urbaine (commerce, transport, environnement, qualité architecturale, etc.) très inférieures à celles des autres départements de la région et même de la France.
Il était donc nécessaire de présenter en détail la notion d’intensité urbaine ainsi que les différentes manières de créer cette intensité au sein de quartiers nouveaux ou existants.
Enfin, une troisième étape indispensable à la réalisation de la présente étude a été menée, à savoir la réalisation d’enquêtes d’abord auprès de populations habitants en zone d’intensité urbaine puis de populations habitants hors de la Seine-Saint-Denis afin d’étudier le potentiel d’attractivité de l’intensité urbaine. Elles étaient donc indispensables pour apporter une réponse claire à la problématique posée en début de mémoire, à savoir : « L’intensité urbaine peut-elle être utilisée comme un moyen d’attractivité pour le département de la Seine-Saint-Denis ? » L’étude ainsi réalisée, complétée par les réponses recueillies dans le cadre des enquêtes menées, nous permet d’apporter des premières pistes de réponses, qu’il restera néanmoins nécessaire de nuancer.
Tout d’abord, il existe de nombreuses solutions pour établir ou créer de l’intensité urbaine dans un quartier, qui passe notamment par trois axes : la densité, la centralité et la qualité urbaine. Cette intensité urbaine ne peut être prévue ou pensée individuellement, mais elle doit être encouragée par la mise en œuvre de nombreuses actions, et ce dans une logique de concertation et d’échange. Une zone d’intensité urbaine ne peut être portée que par une volonté publique collective, notamment par les communes ou les collectivités dont le rôle est d’encourager la création de ces zones sur leurs territoires en déployant diverses actions, telles que la mise en place de ZAC ou d’OAP visant à encourager la création de cette intensité dans un contexte d’échange. Ce cadre participatif devra également aboutir à l’intégration d’une réflexion du projet en fonction des différentes centralités de proximité ainsi que de l’avis des riverains, indispensables à l’acceptation du projet et à une bonne compréhension des besoins. D’autres acteurs, tels que les régions, les départements ou encore l’État, peuvent encourager la création de zones d’intensité urbaine de manière plus large au moyen, par exemple, de textes réglementaires visant à favoriser certains éléments d’intensité (comme la densification).
La mise en œuvre de l’intensité urbaine permet ainsi de créer des quartiers à haut niveau de services et de concilier la qualité du cadre de vie local avec le dynamisme des grandes zones urbaines.
Mais l’implantation de ce type de quartier peut-elle attirer de nouvelles populations en Seine-Saint-Denis ? Les deux enquêtes réalisées permettent de répondre par l’affirmative, mais de manière nuancée.
La première, qui cible les habitants des zones intenses, nous a permis de relever des écarts significatifs avec les quartiers urbains plus traditionnels. En particulier, cette enquête nous a fait constater que ces quartiers avaient la capacité d’attirer encore plus de cadres à hauts revenus, tout en observant que la plupart de ces cadres n’étaient pas originaires de Seine-Saint-Denis. Pour la plupart des cadres ciblés par l’enquête, les principaux critères susceptibles d’influencer leur décision de déménager sont directement liés à l’intensité urbaine, et peu d’entre eux ont mentionné le prix du logement comme un critère déterminant. D’autres critères ont été beaucoup plus retenus, comme la présence de transports, l’ambiance ou la convivialité du site. Par ailleurs, une très forte proportion de la population enquêtée qui habite dans une zone d’intensité urbaine (en l’occurrence, les docks de Saint-Ouen-sur-Seine) travaille également dans son quartier, et ce grâce à l’intégration de bâtiments du secteur tertiaire. À travers cette première enquête, nous constatons le potentiel d’attractivité de l’intensité urbaine pour la Seine-Saint-Denis, qui permet, dans le cas du quartier étudié, de susciter la venue de cadres à hauts revenus provenant d’autres départements. Cette tendance peut se justifier d’une part par l’intérêt des cadres pour les différentes fonctionnalités offertes par l’intensité urbaine (transports de proximité, ambiance, convivialité, qualité architecturale, etc.) et, d’autre part par l’opportunité que peut représenter la présence d’entreprises tertiaires dans leur quartier.
Cependant, cette enquête ne portait que sur une seule commune et un seul quartier intense, ce qui n’est hélas pas suffisant pour en tirer des conclusions plus générales. Pour cette raison, une seconde enquête a été réalisée auprès de Franciliens ne résidant pas en Seine-Saint-Denis, afin de sonder leur ressenti initial concernant le département et de déterminer comment l’intensité urbaine pourrait faire évoluer cette perception. Cette seconde enquête nous permet ainsi d’apporter une conclusion plus objective de l’intensité urbaine quant à sa capacité à être utilisée comme outil d’attractivité pour la Seine-Saint-Denis. La majorité des répondants (plus de 80 %) ne se déclarent pas favorables à un éventuel emménagement en Seine-Saint-Denis. Cette réponse massive nous interroge sur les causes du manque d’attractivité de ce territoire.
Comme nous l’avons mentionné, le département de la Seine-Saint-Denis est tributaire de son histoire et d’une réputation très négative qui s’est construite au fil des années et qui a façonné un certain imaginaire collectif autour de ce territoire. Ceci est directement observable dans notre enquête puisqu’un pourcentage très élevé (plus de 70 %) des répondants ayant déclaré ne pas souhaiter vivre en Seine-Saint-Denis a également indiqué ne pas connaître le territoire. Ces résultats illustrent ainsi directement les conséquences de la notoriété d’un espace sur la décision des individus de venir y habiter. Au-delà de cette réputation, il est intéressant de comprendre les principales causes qui expliquent ce rejet. Ainsi, pour la majorité des répondants, il s’agit du sentiment d’insécurité et des potentielles nuisances.
Une fois les diverses facettes de l’intensité urbaine expliquées au travers d’une question visant à comprendre les principaux critères de décision d’emménagement des répondants dans un nouveau quartier, il était important de comprendre si et dans quelles mesures l’intensité urbaine pouvait avoir un impact sur les avis des populations. Nous avons ainsi observé que près de 25 % des répondants étaient disposés à accepter d’emménager en Seine-Saint-Denis, ce qui porte à 37 % le taux de répondants se déclarant favorables à une installation dans un quartier intense de Seine-Saint-Denis. Nous avons également constaté qu’un nombre significatif de personnes interrogées étaient prêtes à changer d’avis, dont plusieurs sous certaines conditions, telles que celles relatives à un sentiment de sécurité dans leur quartier ou à la possibilité de résider dans une maison individuelle.
Les résultats obtenus ont permis de confirmer l’hypothèse selon laquelle l’intensité urbaine peut être un véritable vecteur de valorisation de l’attractivité de la Seine-Saint-Denis. En revanche, il convient de nuancer cette affirmation. En effet, une très grande majorité de la population ne souhaite pas pour autant habiter en Seine-Saint-Denis, quel que soit le quartier et les différents services et équipements qui peuvent leur être proposés. Pour beaucoup d’entre eux, la renommée de ce département est un critère majeur.
Ensuite, nous avons pu analyser l’importance des différents critères de l’intensité urbaine pour l’ensemble des répondants aux deux enquêtes, et en particulier pour les cadres. La proximité des transports en commun, l’ambiance et la convivialité du lieu, ainsi que des commerces de proximité suffisants et diversifiés, ont été cités par la majorité des participants.
Pour que les zones d’intensité urbaine aménagées puissent attirer les populations cadres en Seine-Saint-Denis, il est donc essentiel de soigneusement réfléchir à une juste intégration de l’ensemble de ses critères et de prioriser les axes développés précédemment. Ces axes, et notamment les questions d’ambiance et de convivialité, peuvent jouer un rôle majeur dans le sentiment de sécurité d’un quartier. Or, celui-ci est le premier motif évoqué par les personnes interrogées pour justifier leur souhait de ne pas vivre en Seine-Saint-Denis. Un grand nombre de répondants a également affirmé être disposé à emménager dans un quartier intense de Seine-Saint-Denis à condition de s’y sentir en sécurité. L’ambiance urbaine et la convivialité du lieu peuvent être renforcées notamment grâce à la qualité des espaces urbains et aux interactions humaines, qui accroissent le sentiment de sécurité des habitants.
Par ailleurs, bien que les répondants de la seconde enquête n’aient pas indiqué ce point comme étant essentiel, la présence de bureaux au sein de leur quartier a fortement intéressé les premiers interrogés. Ce type d’implantation pourrait avoir un potentiel d’attractivité très important pour les cadres, pour qu’ils vivent à proximité de leur lieu de travail. En effet, l’implantation de bureaux dans un quartier va permettre, soit par le biais de nouveaux recrutements soit par le biais de déménagements pour suivre le lieu de travail (implantation du siège social), à de nombreux cadres de venir s’installer dans un quartier intense.
Cependant, cette création de bureaux a deux autres enjeux importants. D’abord, une zone urbaine doit être capable de vivre à toute heure du jour et de la nuit. Ainsi, la présence de bureaux tertiaires dans un quartier résidentiel permet de maintenir en continu une animation du quartier et de ses commerces. La présence de bureaux peut également apporter un sentiment de sécurité à la zone, grâce aux flux de personnes qui s’y trouvent, mais aussi diminuer les éventuelles nuisances (reprochées au département) en réduisant drastiquement les activités dans le quartier en période nocturne.
Il est également essentiel de bien réfléchir à la mixité fonctionnelle et à la présence de bâtiments ou de locaux tertiaires dans la carte de création des zones d’intensité urbaine afin que ces intégrations puissent avoir un effet positif sur leur attractivité.
Enfin, la densité est, rappelons-le, l’un des principaux axes de l’intensité urbaine. Or, cette densité est souvent perçue négativement par les habitants, comme en atteste notre enquête. En effet, lorsque nous avons analysé les retours des répondants qui ne souhaitaient pas vivre dans une zone dense, la quasi-totalité d’entre eux ne souhaitaient pas non plus vivre dans une zone intense, ce qui laisse supposer qu’un quartier intense est nécessairement synonyme de densité importante.
L’apport de logements mixtes et variés, tels que des logements collectifs R +5/R +6 associés à des logements individuels denses tels que l’habitat intermédiaire, pourrait répondre à cette problématique. Cela en atténue ce sentiment de densité perçue, tout en favorisant la multiplicité des habitats qu’un lieu intense doit offrir et en proposant des solutions d’habitat individuel que les populations plébiscitent de plus en plus.
Bien que longue et complexe à mettre en œuvre en raison de ses nombreux enjeux, nous avons observé tout au long de cette étude que l’intensité urbaine a un réel potentiel pour attirer de nouvelles populations en Seine-Saint-Denis si elle est utilisée correctement et efficacement.
Pour que cette intensité joue un rôle moteur dans l’attractivité de la Seine-Saint-Denis, il est désormais du devoir des communes et collectivités du territoire d’agir conjointement et d’utiliser à bon escient cet outil tout en ciblant les lieux pertinents qui permettront la mise en œuvre d’une véritable intensité urbaine et les différents axes que cette intensité doit comporter.