Le projet HUNIWERS (« Impact historique de l’urbanisation sur la qualité de l’eau : étude diachronique en région parisienne »), financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR 18-CE22-0009), a permis de mener à bien cette recherche.
Introduction
Cet article contribue à la question de la mesure de l’occupation des sols dans le but notamment d’affiner l’opposition entre artificiel et naturel. Il mobilise des méthodes topographiques historiques à partir de systèmes d’information géographique (SIG) et de diverses sources cartographiques sur deux terrains spécifiques à Paris et dans sa périphérie proche, couramment nommée petite couronne. La méthode se veut générique, étant liée à des productions cartographiques structurantes des deux derniers siècles.
Les réflexions primordiales proviennent de problématiques environnementales concernant la nappe phréatique en milieu urbain. À des fins de modélisation, les recherches portent notamment sur l’évolution de paramètres environnementaux dans la longue durée. L’occupation du sol est un paramètre essentiel si l’on considère par exemple la recharge des nappes phréatiques ou les potentielles contaminations des sols. Les sources historiques, en tant que jalons mesurés et archivés, permettent alors de fixer des états de référence dûment documentés.
Le renouvellement de l’exploitation des sources spatiales par les SIG permet d’élargir plusieurs échelles d’analyse – temporelles et spatiales – et justifie l’emploi de la formule « approche topographique historique ». Une synthèse des questions initiales ayant nécessité la création des outils – reconstitutions de cadastres et de modes d’occupation de sols diachroniques, évaluation des matériaux de construction urbains, évaluation de la démographie historique – précède la description détaillée de ces derniers. Enfin, les résultats sont présentés concernant deux zones urbaines à l’urbanisation décalée historiquement sur une plage temporelle de deux siècles et permettent enfin la discussion sur la notion d’artificialisation.
Une problématique environnementale liée au fonctionnement de la nappe phréatique en milieu urbain
Le projet de recherches HUNIWERS (Pons-Branchu, 2018), qui sert de support à la présente étude, a pour objectif de mieux comprendre les effets de l’urbanisation sur le fonctionnement des nappes d’eau souterraines urbaines, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. L’état actuel est ainsi comparé à l’état passé, en s’appuyant sur un certain nombre de données historiques archivées (plans topographiques, chroniques de débits, sondages géologiques, etc.), en simulant l’évolution des débits mesurés dans les réseaux de drainage à l’aide de modèles pluie-débit diachroniques et en utilisant des concrétions calcaires1 comme archives environnementales pour étudier les variations au cours du temps d’espèces chimiques dans les nappes (figure 1).
En entrée de tels modèles pluie-débit se trouvent des données issues d’archives urbaines : la température, la pluviométrie, les débits mesurés à certaines époques par les gestionnaires des réseaux ou encore l’occupation du sol supposée, qui engendre un certain taux d’imperméabilisation. Pour cela, une reconstitution fine de l’évolution de l’occupation du sol sur deux siècles a été entreprise dans deux zones actuellement intégrées à la ville dense, vastes de plusieurs centaines d’hectares. Elles sont comprises pour la première entre les xixe et xxe arrondissements de Paris, les communes des Lilas, du Pré-Saint-Gervais et de Romainville tandis que la seconde concerne les communes de Rungis, Villejuif, Cachan, Fresnes, Chevilly-Larue, L’Haÿ-les-Roses, Villejuif, Thiais, Vitry-sur-Seine.
Il s’agit des zones de drainage des deux principaux systèmes d’alimentation en eau de la ville de Paris précédant la mise en place des systèmes contemporains à partir du xixe siècle : le réseau des sources du Nord (xiiie siècle) et l’aqueduc de Rungis, dit aussi « de Médicis » (xviie siècle), notamment constitués de pierrées, de conduites et d’aqueducs. Ces équipements hydrauliques, fonctionnant encore partiellement, ont drainé depuis le Moyen Âge ou l’époque moderne deux nappes d’eau souterraines dites « perchées » afin d’approvisionner des fontaines publiques et des bâtiments religieux ou royaux sur les deux rives de la Seine (figure 2). Leur modélisation topographique, préalable à ce travail, fait appel à un travail de récolement et d’interpolations avec des outils SIG de données archivées (plans et parcellaire du xixe siècle, sondages géologiques et piézométrie) (Fernandez et al., 2022).
Hypothèses sur l’interpolation d’archives cartographiques urbaines
La méthode, poursuivant certaines recherches sur cette problématique (Franck-Néel et al., 2015), consiste à interpoler temporellement des catégories stables définissant l’occupation du sol au sein d’un nombre limité de mesures historiques. Ces mesures proviennent d’archives cartographiques de première main traitées sous SIG et dont le processus de création maîtrisé assure la possibilité de comparaisons.
Un détour chronologique est utile afin de montrer que la compréhension des modalités de production des données urbaines par diverses institutions est une porte d’entrée essentielle pour orienter la stratégie générique de la recherche.
Le plan parcellaire cadastral est institué nationalement en 1807 et se perpétue jusqu’à aujourd’hui, entretenu par les services fiscaux (Bourillon, 2007 ; Fernandez & Gribaudi, 2021). Si des spécificités ont par exemple existé à Paris, où le plan du service technique de la documentation foncière (STDF) a été la base des travaux d’urbanisme jusqu’à la création tardive d’un plan cadastral au cours des années 1970, le cadastre fournit une donnée d’une grande stabilité dans le temps en cartographiant espaces publics, bâti et parcelles non bâties dont il est possible de fournir des surfaces après traitements géomatiques2. Si la voirie est assimilée à l’espace public, ce sont des éléments les plus structurants de l’occupation urbaine du sol qui deviennent quantifiables a posteriori et non la seule opposition propriété privée/propriété publique.
On peut trouver une version synchronisée avec le cadastre et mise à jour avec ce dernier dans les données libres de l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR) sous un format compatible avec les SIG, c’est-à-dire propice à des études spatiales urbaines3. Il convient de noter que de nombreux plans urbains du xixe siècle sont des émanations des plans cadastraux issus d’assemblages cartographiques et de réductions (par exemple, l’atlas communal du département de la Seine d’Onésime Théodore Lefèvre au 1/5 000e en 1874).
La naissance de l’urbanisme est généralement associée à loi Cornudet de 1919 qui, notamment, impose à toutes les communes du département de la Seine de réaliser un plan d’aménagement, d’embellissement et d’extension (Calabi, 1998). Il existe par exemple un plan de 1922 qui donne une première image d’un assemblage des zonings urbains (industrie, habitat, etc.) des communes entourant Paris (Préfecture de la Seine, 1922). C’est cette même logique de typologie de zonage par masses plus ou moins affinées que l’on retrouve dans les modes d’occupation du sol (MOS)4 déployés à partir de 1982 en Île-de-France. Visant à observer un état existant de l’occupation des sols par catégorie, ils sont mis à jour tous les quatre à cinq ans par L’Institut Paris Region. Dans les MOS, nous trouvons des agglomérats reliés à une fonction urbaine nomenclaturée.
Pour chacune des zones étudiées, une partie des sources précitées est exploitée ou créée à des fins d’analyse spatiale. Les choix sont réalisés dans la mesure de la disponibilité des données libres et du temps disponible pour en produire de nouvelles. La figure 3 ci-dessous montre les sources brutes sélectionnées pour décrire la zone « nord » parmi les deux zones définies dans la figure 1.
Sans nous attarder ici sur les opérations de géoréférencement et de vectorisation, pourtant essentielles afin d’assurer la comparaison possible entre les sources diachroniques par le contrôle des marges d’erreurs cartographiques, soulignons qu’elles sont à produire ad hoc lorsque les travaux de SIG historiques restent à réaliser. Il s’agit, dans la figure 3, des plans cadastraux des années 1810-1850 et du MOS associé. Les MOS de 1982 et de 2017 sont retenus ainsi que celui de 1949 réalisé récemment sur la base d’images aériennes par L’Institut Paris Region. Enfin, les données contemporaines issues de la mesure cadastrale, qui restent la donnée urbaine de référence depuis le xixe siècle, sont rendues disponibles par les données libres de l’APUR.
Résultats sur l’occupation du sol et l’imperméabilisation
À l’issue de ce travail sur les sources, les huit catégories du MOS quantifiées et les trois catégories cadastrales – bâti, parcelle non bâtie, espace public – sont interpolables et agrégeables au cours du temps. Pour le bâti et la voirie, une interpolation est réalisée en pondérant par la population de la zone étudiée. Les parcelles non bâties sont discrétisées dans les catégories du MOS et interpolées linéairement dans le temps entre les points de mesures historiques. L’exactitude des mesures datées, atteinte par l’analyse spatiale SIG, permet de borner précisément l’interpolation entre les dates des sources et de limiter les marges d’erreur, elles-mêmes représentées dans la figure 4.
Un dernier travail consiste à transformer ces résultats surfaciques en résultats concernant l’imperméabilisation du sol. Certaines hypothèses complémentaires doivent être détaillées. Le raccord à l’égout est estimé, pour la zone « nord » (xixe arrondissement de Paris, Les Lilas, etc.), en fonction des techniques de mises à l’égout, ici considérées comme en diffusion à partir des années 1870 dans la partie périphérique de Paris (dont les xixe et xxe arrondissements) et vers 1900-1920 dans la banlieue proche de Paris (dont Les Lilas, le Pré-Saint-Gervais et Romainville). Nous pouvons ici nous fonder sur la carte des égouts produite par Alphand (1889) pour Paris et sur l’État des communes à la fin du xixe siècle (Département de la Seine, direction des affaires départementales, 1899 & 1900) qui fait état d’un système moyennement étendu aux Lilas et assez minimal à Romainville en 1900.
Les parties non bâties des zones d’activités (notamment industrielles et commerciales) et des équipements sont estimées bituminées et drainées par des systèmes d’évacuation d’eau pluviale à partir de 1940. L’habitat collectif est considéré comme équipé de parkings imperméabilisés à partir de la même date ainsi qu’une partie de l’habitat individuel avec des aménagements de type parking individuel ou autre équipement de jardin. Ces quelques hypothèses liées à l’évolution des techniques urbaines permettent d’associer à chaque évolution surfacique observée dans la figure 4 un coefficient d’imperméabilisation arbitrairement fixé à 0, 0,25, 0,5, 0,75 ou 1. Le tableau 1 présente les taux choisis. Il convient de noter qu’une étude plus approfondie basée sur des photos historiques ou des documents d’archives ou de recherches précisant l’état des techniques urbaines aux xixe et xxe siècles permettrait d’affiner ces critères et leurs datations.
Tableau 1. Coefficients d’imperméabilisation affectés à l’occupation du sol des parcelles non bâties pour les zones « nord » et « sud » (analyse basée sur la connaissance topographique urbaine historique notamment les égouts)
Catégorie (voir figures 3 et 4) |
Coefficient d’imperméabilisation affecté |
Bâti |
0 de 1800 à 1860 ; 1 à partir de 1870 dans la zone « nord » et de 1900 pour la zone « sud » |
Voirie |
0 de 1800 à 1860 ; 1 à partir de 1870 dans la zone « nord » et de 1900 pour la zone « sud » |
Agricole |
0 de 1800 à 2020 |
Espace ouvert |
0 de 1800 à 2020 |
Habitat individuel |
0 de 1800 à 1930 ; 0,25 à partir de 1940 |
Habitat collectif |
0 de 1800 à 1930 ; 0,75 à partir de 1940 |
Équipements |
0 de 1800 à 1930 ; 1 à partir de 1940 |
Activités |
0 de 1800 à 1930 ; 1 à partir de 1940 |
Carrières, décharges, chantiers |
0 de 1800 à 1930 ; 1 à partir de 1940 |
Le résultat présenté dans la figure 5 ci-dessus est une estimation de l’évolution d’imperméabilisation des sols sur deux zones urbaines denses mais distinctes dans leur processus d’urbanisation. La zone « nord » fait partie de l’emprise urbaine de Paris ou en subit les effets dès l’extension des années 18605 tandis que la zone « sud » connaît une forte densification lors des opérations d’aménagement des années 1960 (flux routiers, logistique, aéroport, opérations de construction d’habitat collectif et individuel éloignées du centre-ville). Le taux d’imperméabilisation montre en toute logique des comportements différents, liés à la fois à l’âge de l’extension urbaine mais également en grande partie à l’évolution des techniques ayant globalement tendu vers davantage d’imperméabilisation. Le taux de 80 à 90 % d’imperméabilisation, qui semble être un palier, est atteint avec environ 70 ans d’écart.
La figure 5 permet également de mesurer l’intérêt du croisement des deux grands types de sources urbaines mis en évidence initialement. En effet, une occupation des sols mesurée sur la seule base de données agrégées, telles que celles de Corine Land Cover (version européenne des modes d’occupation des sols à granulométrie très large) ou des MOS6, donnerait des taux d’artificialisation du sol ne permettant pas d’observer finement l’évolution de l’imperméabilisation au cours du temps. Les zones totalement imperméables, telles que le bâti ou la voirie, sont en effet ramenées ici à leurs emprises réelles inférieures à celles issues des données agrégées qui reflètent, comme nous l’avons dit précédemment, la notion de fonction urbaine. Par exemple, une parcelle contenant un bâtiment d’habitat sera entièrement considérée comme bâti dans un MOS.
Notre méthode permet, au niveau de l’espace, de ramener le bâti à son emprise réelle et ainsi de mettre l’accent sur les parties non bâties des parcelles. Une fois cette question cartographique prise en compte, celle de l’imperméabilisation devient largement une problématique d’urbanisme et de techniques liées à des aménagements urbains. Elle apparaît en effet comme résultant de la morphologie urbaine d’une part et des choix d’aménagements liés aux sections non bâties des parcelles et à l’évacuation d’eaux pluviales d’autre part, qui peuvent être rejetées dans les réseaux d’assainissement ou infiltrées dans les sols.
Un autre paramètre de l’artificialisation lié à l’urbanisation : les remblais
L’approche topographique historique tridimensionnelle permet de préciser une autre mesure liée à la notion d’artificialisation. Elle caractérise notamment la constitution de remblais au cours de l’urbanisation. Cette composante tridimensionnelle de l’artificialisation des sols, présente dans la majorité des secteurs urbanisés, recouvre le sol originel par une couche hétérogène tant en épaisseur qu’en composition physico-chimique. Il s’agit du « tout venant » couramment employé au cours des opérations d’aménagement jusqu’aux prises en compte récentes de l’économie circulaire (Diab & Fernandez, 2020).
Il convient de remarquer que, si sa matérialité ne fait aucun doute, cette strate n’apparaît pas dans les données cartographiques classiques et sur peu de cartes géologiques. Elle est « recouverte » par l’information parcellaire et fonctionnelle de l’urbanisme, faisant oublier cette artificialité de l’aménagement pourtant bien connue des archéologues, géologues ou ingénieurs en fondation. À titre d’exemple, nous nous bornerons à citer le parc départemental Georges-Valbon à La Courneuve qui est une décharge pour matériaux inertes du secteur du BTP dans les années 1960 à 1970 (Fernandez, 2018) et qui est classé depuis 1982 dans la catégorie « espace ouvert artificialisé » du MOS contenant notamment les parcs urbains.
L’analyse spatiale des sources historiques par les outils SIG donne des résultats innovants qui permettent notamment de pallier l’absence de représentation de cette strate. Nous ne reviendrons pas ici sur la méthode qui a déjà été décrite dans de précédentes publications (Fernandez, 2018). La figure 6 illustre la présence de remblais mesurée par comparaison des données spatiales historiques dans les zones étudiées.
Nous ne donnerons pas de mesures surfaciques exactes qui auraient tendance à masquer des marges d’erreur évidentes liées aux sources historiques. Néanmoins, c’est une surface d’environ 16 % pour la zone « nord » et 30 % pour la zone « sud » que la mesure cartographique montre recouverte d’une couche de remblais de plus d’un mètre d’épaisseur avec des maxima respectivement de 12,5 et 17,5 mètres.
Nous insistons ici sur les remblais car il s’agit de l’exutoire privilégié des déchets du secteur du BTP bien avant la médiatisation liée aux lois récentes sur l’économie circulaire. Leur composition hétéroclite contribue physiquement à l’artificialisation. Il convient enfin de remarquer que les déblais, observables avec la même méthode mais non représentés ici, amènent également une artificialisation au sens géologique en décaissant le sol naturel et les terres végétales et alluvionnaires. Pour donner ce seul exemple, le boulevard périphérique parisien entaille d’une dizaine de mètres le sol naturel entre les portes des Lilas et de Bagnolet.
Discussions
Pour conclure, nous privilégions la discussion sur des thèmes qui nous paraissent particulièrement bien mis en lumière par les deux zones urbaines « nord » et « sud » explorées en détails (figure 2). Si les questions initiales traitées par la recherche sont bien spécifiques et concernent notamment la modélisation de l’imperméabilisation, la discussion est possible autour des thèmes plus larges qui font l’objet de la présente journée d’étude.
Nous n’avons abordé qu’une partie de la question de l’artificialisation en milieu urbain. Celle que nous avons décrite, qualifiable de statique, est liée au tissu urbain constitué au cours du temps et observé du point de vue topographique. Elle ne contient donc pas une description physico-chimique de l’état des sols, pourtant importante pour parler des effets de l’artificialisation sur l’écosystème urbain, ni une vision dynamique liée à l’extension urbaine pouvant être décrite par le métabolisme urbain et contenant par exemple les flux de matière, d’énergie, les impacts délocalisés liés à l’extraction des matières premières ou à leur transformation sur des sites industriels, etc.
Discussion sur la technique cartographique
Le travail présenté montre que la finesse de l’information topographique est importante et permet l’obtention de résultats que l’occupation du sol de type MOS seule n’aurait pas permise. La granularité la plus fine, et avec le pas de temps le plus large, est indispensable pour observer les dynamiques et les évolutions.
Nous avons démontré que la granulométrie plus large des données ne permettrait pas d’associer le degré d’imperméabilisation dans le temps à l’évolution des techniques urbaines, facteur qui nous semble déterminant une fois les problèmes d’agrégats cartographiques réglés. L’artificialisation au sens d’imperméabilisation est très liée ici au raccord au système d’assainissement des zones urbanisées. Il s’agit d’une technique urbaine évolutive et modulable7. L’imperméabilisation des zones urbanisées est bien massive mais repose davantage sur ce dernier facteur que sur une mauvaise granulométrie cartographique de la description urbaine.
Les données cadastrales et de l’occupation du sol, si elles sont agrégées de manière raisonnée en tenant compte de leur technique de constitution, engendrent ici la mesure de l’occupation du sol dans le temps la mieux sourcée qui soit. Une amélioration pourrait être apportée avec davantage de jalons historiques mesurés. Il s’agit d’un travail de fond pour les humanités numériques qui dépend bien sûr de l’énergie et du nombre de chercheurs ou d’institutions qui produisent des données SIG libres.
Discussion sur les techniques de l’urbanisme
Cette expérience nous a permis d’étudier la part de réalité historique de l’artificialisation liée aux sources primaires de l’évolution topographique urbaine.
La loi Climat et résilience (2021) porte le concept de zéro artificialisation nette (ZAN) et repose sur une hypothèse de fond qui est la fin progressive de l’extension urbaine. Il convient de signaler que les courbes tendent vers cette diminution depuis un pic atteint à la fin des années 1990 comme le montrent les travaux de Diab & Fernandez (2020) basés sur l’analyse spatiale des données du MOS entre 1982 et 2017. Dans une réflexion sur les formes urbaines, la même hypothèse tend logiquement à mettre l’accent sur le taux d’artificialisation de la ville déjà constituée, existante, notamment à travers son renouvellement, sa densification et sa morphologie.
Par conséquent, il semble d’autant plus nécessaire de parvenir à saisir les évolutions de la ville existante. Si les extensions urbaines massives contemporaines bien connues telles que l’aménagement en cours du plateau de Saclay ou le projet avorté du Triangle de Gonesse sont bien visibles avec une forte granulométrie cartographique, la désartificialisation ou la désimperméabilisation des tissus urbains constitués nécessitent de prendre en compte la finesse du tissu : jardins, types de voirie, parkings, réseaux d’évacuation, etc., mais aussi les techniques urbaines, par exemple celles liées à l’affectation des parcelles non bâties (bitume, béton, drainage, remblaiements, etc.).
La troisième dimension cartographique introduite par la figure 6 tend à montrer que l’artificialisation est également liée aux sols anthropiques : les sols ne sont plus naturels et certains d’entre eux, contaminés, engendrent des choix techniques sur les sites confinés par des chapes d’imperméabilisation visant à respecter les normes sanitaires en vigueur. Le phénomène, ici exploré de manière « statique », est évidemment à raccorder à la question dynamique des impacts délocalisés (extraction de matières premières, sites de transformation, exutoires).
La notion d’artificialisation confrontée à des phénomènes morphologiques aussi différents que l’extension massive du bâti, le renouvellement urbain ou l’adaptation de la ville existante engendre donc, au-delà de la cartographie, une problématique d’urbanisme qui sera certainement mise en valeur après la loi Climat et résilience et le concept de ZAN introduit.
Discussion sur les approches contemporaines de la notion d’artificialisation
Un des bénéfices de l’approche historique n’est pas seulement d’observer un temps plus long que celui contenu dans les données contemporaines mais c’est également de percevoir les lignes de forces perpétuées dans le temps et pouvant alimenter le besoin de définition du concept d’artificialisation.
Le plan cadastral, institutionnalisé en 1807 en tant qu’outil de gestion fiscale de la propriété, ainsi que les réformes de l’urbanisme engendrant des plans d’aménagements urbains fonctionnalistes au début du xxe siècle, sont les sources les plus claires et stables temporellement pour saisir l’évolution de la forme urbaine. L’approche historique représente donc une source primaire et pérenne pour rechercher un état physique et documenté de l’artificialisation ou bien de l’imperméabilisation. Cette approche historique peut intégrer des données originales pour l’urbanisme comme la géologie ou la mesure tridimensionnelle permettant de dépasser les approches cadastrales – gestion des propriétés publique et privée – ou fonctionnalistes pour atteindre par exemple la physique d’un sol artificiel mais réglementairement désartificialisé en tant que parc urbain. L’artificialisation serait ici à saisir comme une contradiction à un état dit « naturel ».
Les contributions à la journée d’étude Qu’est-ce qu’artificialiser veut dire ? montrent bien que la définition même de l’artificialisation, encore floue derrière les injonctions législatives et politiques récentes, devient potentiellement calquée sur celle de l’imperméabilisation.
Au-delà des définitions juridiques, la grande stabilité des sources cartographiques observée dans le temps long montre qu’une refonte des productions cartographiques n’est pas nécessaire. La ville restant conçue et exploitée en tant qu’assemblage de parcelles dont l’urbanisme vise à orienter les fonctions en amont, la profonde inertie des sources liées permet de construire des méthodes d’observation de la réalité physique de l’artificialisation qui y est inscrite et de libérer la discussion du seul aspect technique de la mesure.