Argumentaire
L’introduction de la doctrine « zéro artificialisation nette » dans le plan Biodiversité en France en 2018 (Fosse et al., 2019) et la promulgation de la loi Climat et résilience en août 2021 ont placé au cœur de l’actualité immobilière la question foncière et la nécessité de réduire la consommation de terrains dans la construction – une injonction déjà croissante dans les documents d’urbanisme depuis la loi Solidarité et renouvellement urbains de 2000. La réflexion scientifique a, depuis lors, exploré de nombreuses voies afin de répondre à cet impératif, notamment par la compacité urbaine et l’intensification de la récupération des friches (Halleux, 2012 ; Rey & Lufkin, 2015), la mobilisation de la vacance des bâtiments (Brouard-Sala et al., 2016 ; Arab & Miot, 2020) ou encore la promotion d’un urbanisme circulaire et d’une approche métabolique du fonctionnement des villes (Barles, 2017 ; Grisot, 2020). Ces propositions de transformation du bâti se sont assorties d’une volonté d’intensification des usages par des bâtiments mixtes (Deborne, 2016) à concevoir de manière plus modulable et réversible (Scherrer & Vanier, 2013), voire selon des cycles d’utilisation optimisés relevant d’un « chrono-urbanisme » (Gwiazdzinski, 2014). Les évolutions nécessaires du droit de l’urbanisme et de la fiscalité sont aussi beaucoup questionnées (Sainteny, 2018 ; Chambord, 2019 ; Giacuzzo, 2021) afin de contraindre ou d’accompagner cette évolution.
Il a cependant été rapidement fait état, dans le même temps, de la difficulté de mesurer correctement l’artificialisation des sols (Bousquet et al., 2013 ; Chéry et al., 2014 ; Béchet et al., 2017 ; Cavailhès, 2020) au point de critiquer la pertinence même de la notion, devenue bouc émissaire d’une impasse politique (Charmes, 2021). De fait, malgré les progrès fulgurants des techniques de télédétection et l’accès ouvert aux données massives, notamment en termes d’occupation des sols, de transactions foncières et de construction, il demeure une grande difficulté à saisir précisément l’intensité du phénomène. Cela tient, en partie, aux limites des bases de données, lorsqu’elles sont qualifiées à la parcelle et non en fonction des surfaces exactes concernées, ou bien lorsqu’elles reposent sur un échantillonnage aléatoire de terrains. Même l’interprétation des informations satellitaires, via les bases européennes Corine Land Cover, reste délicate lorsqu’il s’agit de traiter de surfaces mixtes mêlant du bâti et des zones végétalisées, comme c’est le cas pour le logement diffus ou les délaissés des infrastructures de transport. Les promesses d’une base de données plus précise se font attendre pour 2024, au mieux, alors que le législateur souhaite encadrer dès à présent le processus.
Le problème se situerait donc en réalité plus en amont, dans la mesure où les définitions de ce que l’on entend par « artificialisation » ne sont toujours pas concordantes. Parle-t-on de « l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol » (article 192 de la loi Climat et résilience), liée à l’imperméabilisation ou au compactage des sols (Béchet et al., 2017 ; Sillard, 2018 ; Desrousseaux et al., 2019) ? Auquel cas se pose la question de la réversibilité du processus et du seuil de temps considéré, mais aussi celle des milieux impactés : les espaces verts urbains préservent aussi, à leur manière, ces processus écologiques, alors qu’ils sont généralement inclus dans l’artificiel. Veut-on plutôt prendre en compte les impacts sur les continuités écologiques (Colsaet, 2017 ; Amsallem et al., 2018), dans l’esprit des trames vertes et bleues établies par la Stratégie nationale pour la biodiversité depuis 2007 et intégrées aux règles d’urbanisme depuis lors ? Et que dire du critère adopté par défaut, qui considère quant à lui l’ensemble des espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF) comme non artificialisés ? Comment classer plus finement les openfields de monoculture intensive et les parcs publics traités en gestion différenciée, deux cas de figure qui brouillent le clivage entre naturel et artificiel ? Il n’y a donc pas encore de concordance entre ces approches, si bien que la formalisation réglementaire en cours incite fortement à remobiliser le débat scientifique sur la notion.
Cette journée d’étude invite donc les chercheuses, chercheurs et les spécialistes de la question à apporter une lecture actualisée de la notion d’artificialisation, notamment dans les champs juridique, économique, écologique, agronomique ou urbanistique, mais aussi dans toute autre approche permettant d’enrichir le débat contradictoire sur un objet devenu politique.
Thèmes
La journée d’étude sera structurée autour de trois grands thèmes principaux :
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Thème 1. Comment optimiser la définition de l’artificialisation en fonction des buts socio-économiques et écologiques que l’on souhaite atteindre ?
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Thème 2. Quels progrès peut-on attendre des techniques de mesure de l’artificialisation, et quels leviers méthodologiques et conceptuels peuvent en particulier aider à affiner l’opposition artificiel/naturel ?
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Thème 3. Quelles approches réglementaires de l’artificialisation peuvent être effectivement mises en œuvre dans les futurs documents d’urbanisme ?
Modalités de soumission
Les propositions de contribution (résumés en 5 000 signes maximum), assorties de 10 références bibliographiques maximum et d’un court CV des contributrices et contributeurs, seront à adresser avant le 1er mars 2022 à l’adresse suivante : recherche@groupe-espi.fr
Les communications pourront se faire soit en distanciel, soit en présentiel sur le campus du Groupe ESPI, à Levallois-Perret, ceci en fonction de l’évolution des contraintes sanitaires en vigueur. L’inscription sera gratuite mais obligatoire.
Les actes de cette journée d’étude seront publiés en ligne, après acceptation des articles définitifs, sur le site des Cahiers ESPI2R.