Pollution de l’air et permis de construire

Synthèse d'un article scientifique

Gaëlle Audrain-Demey

Citer cet article

Référence électronique

Audrain-Demey, G. (2022). Pollution de l’air et permis de construire. Zoom recherche. Mis en ligne le 10 janvier 2022, Cahiers ESPI2R, consulté le 20 avril 2024. URL : https://www.cahiers-espi2r.fr/676

La présente synthèse est rédigée à partir d’une étude réalisée par l’enseignante-chercheuse Gaëlle Audrain-Demey, intitulée « Pollution de l’air : des permis de construire annulés pour atteinte à la salubrité publique » et publiée dans la revue Droit de l’environnement, éditée par MCM Presse (n° 304, octobre 2021).

Il est peu courant d’aborder le thème de la pollution de l’air par le biais de la règlementation des permis de construire (PC) issue du droit de l’urbanisme français. Pourtant, à l’occasion d’un contentieux emblématique révélant les tensions entre densification et protection de l’environnement urbain, le juge administratif a dû se prononcer en 2021 sur l’impact de deux projets du Grand Paris sur la pollution de l’air.

Contexte de l’étude

Le tribunal administratif (TA) de Paris a annulé les PC visant deux projets immobiliers d’ampleur, Mille Arbres et Ville multi-strate (TA de Paris, 2 juillet 2021, n° 1920927-1921120 et n° 2004241). En décembre 2016, ils avaient été désignés lauréats de l’appel à projets Réinventer Paris, lancé en novembre 2014, et devaient s’implanter à proximité de la porte Maillot, à des fins de densification urbaine. Ils développaient des approches poussées de mixité fonctionnelle et de végétalisation.

Des élus d’opposition et des associations de protection de l’environnement ont dénoncé les impacts négatifs de ces projets sur la qualité de l’air. Des recours ont donc été formés devant le TA de Paris, fondés sur l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme qui dispose que « le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations ». Pour les requérants, les niveaux de polluants dans l’air auxquels seraient exposés les habitants et les usagers seraient constitutifs d’une atteinte à la salubrité publique, car situés en zone particulièrement polluée et supposant la création de tunnels qui entraînent le déplacement de la pollution vers les habitations à proximité.

Par deux décisions du 2 juillet 2021, le juge administratif annule les deux PC, donnant ainsi raison aux requérants. Il rejette également la régularisation potentielle de ces deux actes sur le fondement des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme.

Le contexte plus général de ces deux décisions est intéressant. En effet, elles s’inscrivent au cœur d’une jurisprudence de plus en plus sévère à l’encontre des carences de l’État dans la lutte contre la pollution de l’air. Par exemple, le 12 juillet 2017, le Conseil d’État avait ordonné au Gouvernement de « prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en œuvre, [pour chacune des 13 zones françaises où les seuils étaient dépassés], un plan relatif à la qualité de l’air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d’azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites fixées par l’article R. 221-1 du code de l’environnement dans le délai le plus court possible et de le transmettre à la Commission européenne avant le 31 mars 2018 » (CE, 12 juillet 2017, n° 394254). Le 10 juillet 2020, il avait constaté une nouvelle fois que les valeurs limites de polluants étaient toujours dépassées dans huit zones françaises et avait ordonné que des mesures soient adoptées dans un délai de six mois, sans quoi une astreinte de 10 millions d’euros par semestre de retard serait prononcée (CE, 10 juillet 2020, n° 428409).

Des décisions novatrices

Ces arrêts démontrent tout l’intérêt que représente le droit de l’urbanisme pour la protection de l’environnement et, particulièrement, en ce qui concerne la question de la qualité de l’air.

Le juge note, dans les deux décisions, que le secteur de la porte Maillot est marqué par un niveau élevé de pollution de l’air au-delà des valeurs limites fixées par le Code de l’environnement et les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé. De plus, directement situés en surplomb du périphérique à proximité d’hébergements de populations fragiles (crèches, résidence seniors), Mille Arbres et Ville multi-strate, de par cette implantation, risquaient de provoquer le déplacement des substances issues de la circulation automobile à l’entrée et à la sortie des tunnels créés, et donc l’augmentation de leur concentration alentour, bien qu’en eux-mêmes ces projets n’augmenteraient pas la quantité de polluants1. Pour cette raison, le juge estime ainsi que la réalisation du projet Mille Arbres entraînerait « une augmentation de plus de 20 % de NO2 en plusieurs points de mesure aux alentours, en particulier rue Gustave-Charpentier, où sont situés des immeubles d’habitation et de bureaux et des établissements recevant du public, dont une résidence pour personnes âgées » (TA de Paris, 2 juillet 2021, n° 2004241). Cela justifie donc l’annulation des deux PC pour atteinte à la salubrité publique.

Les décisions du TA de Paris sont particulièrement novatrices. Des arrêts qui traitent des nuisances olfactives à l’origine d’une atteinte à la salubrité publique ont précédemment été rendus par le juge administratif mais, en matière de pollution de l’air stricto sensu, les décisions se font rares. À titre de comparaison, le juge administratif a pu considérer que la construction de trois immeubles d’habitation sur un terrain situé à une distance comprise entre 30 et 40 mètres d’une installation classée pour la protection de l’environnement de nature agricole comprenant un élevage de vaches laitières n’était pas compatible avec la salubrité publique (CAA de Nancy, 24 octobre 2002, n° 98NC02508). Il en est de même pour la reconstruction et l’extension d’un bâtiment d’élevage, dans le cadre d’un projet d’une stabulation destinée à abriter 44 vaches, situé en zone UC2 du plan d’occupation des sols, à 24 m d’une habitation (CAA de Nantes, 15 juin 2010, n° 09NT01876).

Une absence de possibilité de régularisation concernant les projets Mille Arbres et Ville multi-strate

Les articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme permettent la régularisation du PC. Ils impliquent qu’« un vice entachant le bien-fondé de l’autorisation d’urbanisme est susceptible d’être régularisé, même si cette régularisation implique de revoir l’économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d’urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n’implique pas d’apporter à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même » (CE, avis du 2 octobre 2020, n° 438318). En l’espèce, le juge considère qu’imposer une modification des deux projets en prescrivant des mesures efficaces contre la pollution de l’air n’est pas envisageable sans que cela bouleverse leur économie générale.

Les deux décisions du TA de Paris analysées pourraient apparaître comme particulièrement sévères dans leur approche en matière de régularisation du PC, la tendance actuelle du droit de l’urbanisme et de la jurisprudence étant plutôt de revendiquer une certaine souplesse en la matière (Carpentier, 2016). Cependant, la nature et l’ampleur des modifications qui devraient être réalisées sur les deux projets paraissent considérables, puisque ce sont leurs caractéristiques principales qui devraient être remises en question, celles qui les ont fait remporter le concours.

En effet, la réalisation de ces nouveaux ensembles immobiliers situés en surplomb du périphérique implique la construction d’une dalle pour le recouvrir, ce qui constituait le caractère particulièrement innovant de leur architecture. Cette approche aurait permis de densifier des zones de Paris dans un contexte de tensions très importantes en matière de besoins en logements. Remettre en question cette localisation, ainsi que l’idée fondatrice du projet, conduit nécessairement à apporter un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même. La souplesse jurisprudentielle développée par des décisions récentes ne permettait pourtant pas, selon le TA de Paris, la régularisation de ces deux projets, qui impliquerait bien trop de changements et d’évolutions.

Apports

Si la Ville de Paris n’interjette pas appel de la décision, les porteurs de ces projets emblématiques devront revoir leur copie pour s’attacher davantage aux exigences de la lutte contre la pollution de l’air sur un site surexposé à ces problématiques. De nouvelles demandes de PC devront être déposées. Il est loisible de penser, à l’instar de Laetitia Santoni, qu’il « semble en effet raisonnable que la portée de l’article L. 600-5-1 ne puisse conduire à autoriser un projet totalement différent de celui en litige et que la mesure de régularisation consiste en un nouveau permis de ce nouveau projet » (Santoni, 2020).

La remise en perspective des contraintes en matière de gestion économe de l’espace confrontées à la nécessité de protéger l’environnement des riverains, mais aussi des futurs occupants des bâtiments, est également intéressante. En effet, si le manque de logements et la nécessité de lutter contre l’étalement urbain peuvent inciter les collectivités à rechercher de nouveaux espaces pour construire (en l’occurrence en recouvrant le périphérique), les projets doivent aussi prendre en compte en amont la qualité de vie et la santé.

Par son fondement, à savoir l’application de l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme à la question de la qualité de l’air, et par ses conséquences (une annulation « sèche » des PC sans possibilité de régularisation), cette décision est particulièrement remarquable.

Analyser et contextualiser les décisions par rapport à une jurisprudence antérieure qui traite peu de la pollution de l’air en lien avec les PC, mais qui prend en compte les nuisances olfactives, est le principal apport de l’étude. Le parallèle entre les deux semble pertinent comme grille de lecture de la décision.

Difficultés et pistes de réflexion

Les décisions de justice en matière de qualité de l’air dans le cadre de l’octroi d’un PC se font particulièrement rares. Il s’agit à la fois d’une difficulté et d’une opportunité. En effet, s’il est contraignant de ne pas pouvoir comparer ces deux cas à d’autres, pour définir plus précisément la portée des décisions commentées, le fait qu’il s’agisse de la première fois que le juge fait une telle application du Code de l’urbanisme donne toute sa portée à ces deux décisions. Le contexte, à savoir une jurisprudence actuelle en matière de qualité de l’air peu favorable à l’État, rend ces décisions dignes d’intérêt, même s’il est difficile de mesurer son influence sur celles-ci.

Ces décisions sont, à n’en pas douter, particulièrement audacieuses. Si un appel n’a pas été interjeté par les parties ayant succombé à l’instance, cette jurisprudence pourrait être la première d’une longue série, les contentieux liés à la qualité de l’air ayant vocation à se multiplier, notamment sous l’effet de la contrainte forte de densification des villes. À l’inverse, si un appel avait été interjeté, le positionnement de la cour administrative d’appel concernée aurait été scruté, en raison de la nature des projets, emblématiques du Grand Paris, innovants et « densificateurs ».

Références juridiques

Tribunal administratif de Paris (TA)

TA de Paris, 2 juillet 2021, n° 1920927-1921120

TA de Paris, 2 juillet 2021, n° 2004241

Jurisprudences

  • Conseil d’État (CE)

CE, 6e - 1re chambres réunies, 12 juillet 2017, n° 394254, publié au recueil Lebon

CE, Assemblée, 10 juillet 2020, n° 428409, publié au recueil Lebon

CE, Section, 02 octobre 2020, n° 438318, publié au recueil Lebon

  • Cours administratives d’appel (CAA)

CAA de Nancy, 1re chambre, 24 octobre 2002, n° 98NC02508

CAA de Nantes, 2e chambre, 15 juin 2010, n° 09NT01876, inédit au recueil Lebon

Code de l’urbanisme

Article R. 111-2

Articles L. 600-5 et L. 600-5-1

1 Le projet Ville multi-strate aurait même pour effet de diminuer la concentration de polluants sur son terrain d’assiette.

2 Zone à vocation mixte d’habitat, de services et d’équipements.

Audrain-Demey, G. (2021). Pollution de l’air : des permis de construire annulés pour atteinte à la salubrité publique. Droit de l’environnement, 304.

Carpentier, E. (2016). La sanction de la règle d’urbanisme (réflexion sur l’ineffectivité institutionnalisée du droit de l’urbanisme). RFDA, 5, 877-881.

Santoni, S. (2020). La régularisation est la règle, l’annulation l’exception. Construction Urbanisme, 11, comm. 121

1 Le projet Ville multi-strate aurait même pour effet de diminuer la concentration de polluants sur son terrain d’assiette.

2 Zone à vocation mixte d’habitat, de services et d’équipements.

Gaëlle Audrain-Demey

Enseignante-chercheuse, laboratoire ESPI2R, Groupe ESPI

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