Première journée d’étude : appel à contribution

Immobilier durable : de la ville d’aujourd’hui à la cité de demain

Cette journée d’étude s’inscrit dans les activités de recherche du Groupe École supérieure des professions immobilières (ESPI), développées par le laboratoire ESPI Réflexions et Recherches (ESPI2R).

Nous nous intéressons à l’immobilier durable, et plus particulièrement à la production d’un langage commun permettant d’aborder aussi bien la production des espaces bâtis que leur gestion, tout en faisant place aux questionnements sur l’humain et la nature en ville.

Contexte

L’immobilier durable se présente comme une approche inclusive de l’immobilier, articulant les problématiques techniques, sociales, environnementales et de gouvernance. L’immobilier, entendu comme l’ensemble du patrimoine construit, tant d’un point de vue architectural qu’urbanistique, sera considéré depuis l’échelle unitaire (le bâtiment), l’unité urbaine (le quartier), jusqu’à la ville dans son intégralité. Il sera abordé sous l’angle de la durabilité, dans son acception la plus vaste.

En effet, l’immobilier est durable par sa localisation et la conception du site, par les ressources et matériaux utilisés, par la prise en compte de la santé, du confort et du bien-être des occupants, par sa capacité d’adaptation aux écosystèmes et sa résilience, par sa soutenabilité économique et par son mode de gouvernance. En juillet 2018, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a proposé des pistes concrètes pour repenser les villes françaises, en particulier par la création d’espaces végétalisés de pleine terre à hauteur de 30 % des surfaces urbanisées et par la renaturation compensatrice de toute destruction d’éléments naturels en milieu urbain.

Partant de ces éléments, nous souhaitons développer nos réflexions sur les potentialités et les incertitudes des projets immobiliers durables, la mise en œuvre d’un système d’économie circulaire, la prise en compte des services écosystémiques urbains, l’intégration du végétal pour valoriser les territoires, l’information environnementale nécessaire à garantir la qualité des réalisations, les formes urbaines répondant aux exigences de durabilité.

Cette approche large des questions environnementales posées à et par l’immobilier nous conduit à proposer les thématiques suivantes :

Économie circulaire et multifonctionnalité

Dès 1966, Kenneth Boulding présentait la terre comme un système économique fermé caractérisé non pas par des interrelations linéaires entre l’économie et l’environnement naturel mais par des relations circulaires (Boulding, 1966). Par la suite, Pearce et Turner (1990) ont montré l’intérêt d’une approche holiste de l’économie et de l’environnement : en mettant en évidence les interrelations entre système économique et système naturel. L’approche holiste oriente la réflexion et l’action vers la mise en œuvre d’une économie circulaire à l’échelle globale.

Selon Pearce et Turner, l’économie linéaire, caractéristique de l’organisation économique et sociale de nos sociétés, de leurs valeurs, normes et institutions, est tributaire de nos représentations du monde. Ces dernières ont longtemps négligé les liens entre l’humain, son système économique et l’environnement naturel. Par conséquent, le système économique tend à prélever une quantité excessive de ressources non renouvelables et produit à chaque étape de son fonctionnement des émissions polluantes et des déchets pouvant mettre à l’épreuve la résilience du système naturel.

L’économie circulaire, à l’échelle globale, correspond à la mise en œuvre d’un modèle d’équilibre de mobilisation des matériaux reposant sur les trois fonctions de l’environnement pour l’humain : pourvoyeur de ressources, source directe d’utilité et assimilateur de déchets (Pearce & Turner, 1990). Un flux circulaire soutenable doit permettre la création d’utilité tout en assurant que la consommation des ressources naturelles renouvelables s’effectue à un rythme qui n’excède pas le rendement de la ressource et que la capacité d’assimilation des déchets par l’environnement est préservée.

Toutefois, un problème persiste dans ce modèle circulaire, celui de la gestion des ressources non renouvelables dont le caractère épuisable paraît difficilement surmontable. À l’échelle locale, la dimension multifonctionnelle du bâtiment, du quartier, de la ville doit contribuer à réduire la pression du système économique sur l’environnement naturel. Cette évolution peut résulter de la mutualisation des espaces et des services, de la valorisation des énergies fossiles, de la mise en place de boucles énergétiques, par exemple. Au-delà, l’économie circulaire a une forte composante sociale, notamment en matière d’insertion, et peut profiter aux territoires (CIRIEC, Itçaina & Richez-Battesti, 2018). L’immobilier au sens large est générateur d’emplois locaux et peut se rattacher à des projets d’économie sociale et solidaire (ESS). Cette perspective se heurte toutefois aux limites juridiques françaises et européennes, notamment s’agissant de la réglementation liée à l’insertion de clauses sociales dans les marchés publics. En effet, ces restrictions demeurent un obstacle au regard du cadre posé par la directive 2014/24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics concernant la latitude dont doivent disposer les pouvoirs adjudicateurs.

Ainsi, la prégnance des problématiques socio-environnementales en ce début de xxie siècle pousse les acteurs publics et privés à la mise en pratique des principes de l’économie circulaire. Il semble donc nécessaire de s’intéresser aux modalités de sa mise en œuvre. Celle-ci ne consiste pas simplement à créer un système de recyclage mais pose des problèmes tant juridiques qu’économiques impliquant la création de véritables réseaux, écosystèmes de production, voire écosystèmes d’innovation (Simon & Cohendet, 2015). À l’échelle microéconomique, certains auteurs mettent en évidence l’importance de l’organisation de l’entreprise ainsi que les barrières qu’elle doit franchir pour mettre en place l’économie circulaire, telles que l’attitude et le savoir, l’intégration entre les fonctions de l’entreprise, la structuration de la chaîne de valeur, la capacité à créer de la valeur, la technologie disponible (Ritzén & Ölundh Sandström, 2017). D’autres mettent l’accent sur les limites et les défis qu’il faudra dépasser à l’échelle macro, comme les limites thermodynamiques, celles liées aux frontières physiques et temporelles, les effets de rebond et de boomerang, la dépendance au sentier et le verrouillage technologique, et, enfin les difficultés de management inter-organisations (Korhonen, Honkasalo & Seppälä, 2018).

L’immobilier, compte tenu de ses impacts socio-environnementaux, doit s’emparer du concept de circularité ; il s’agira donc, dans cette thématique, de s’intéresser aux modalités, aux opportunités tant sociales qu’économiques, aux contradictions et limites liées à la mise en œuvre d’un véritable système de production circulaire dans ce secteur. L’organisation de la ville et de son fonctionnement apparaissent par ailleurs à la croisée d’enjeux économiques renouvelés, notamment en matière de concurrence. À cet égard, le développement des services nécessaires à l’économie circulaire a suscité à plusieurs reprises l’attention des autorités de la concurrence nationales, à l’image du cas français ou hollandais. De sorte que l’opportunité d’un droit de la concurrence spécial ou de dérogations plus étendues au profit des opérateurs de l’économie circulaire peut être soulevée.

D’où les interrogations suivantes :

  • Dans quelles limites l’économie circulaire est-elle une réponse à l’épuisement des ressources non renouvelables ?

  • Une inclusion des acteurs de l’économie circulaire dans le droit de la concurrence est-elle possible ? souhaitable ? nécessaire ?

  • Quels sont les déterminants de la mise en œuvre d’un écosystème avec les différentes parties prenantes de l’économie circulaire ?

  • Quelle soutenabilité pour un système d’économie circulaire ? Quels points de tensions entre les parties prenantes ?

Renaturation des villes

Aujourd’hui, 55 % de la population mondiale vit dans des zones urbaines, proportion qui devrait passer à 68 % d’ici 2050 (Nations unies, 2019). Par l’accroissement de la densité de population et la taille des régions urbaines, les villes sont confrontées à de grands défis pour gérer une transformation continue, assurer le bien-être de leurs habitants et préserver l’environnement naturel, la biodiversité et les services écosystémiques dont nous bénéficions.

L’étalement urbain, sous l’influence d’une forte demande de constructions de toutes natures, consomme toujours plus d’espaces et génère : de fortes fragmentation et destruction des milieux naturels ; des perturbations des habitats naturels et des espèces ; des émissions de polluants dans les sols, l’air et l’eau ; des nuisances sonores, olfactives, lumineuses. L’artificialisation des sols est un modèle urbain qui, de plus en plus, se retourne contre les citadins. Pour relever les défis urbains, l’Union international pour la conservation de la nature (UICN) recommande l’utilisation des solutions fondées sur la nature et les infrastructures vertes en ville.

Renaturer la ville est donc une réponse résiliente aux défis environnementaux. La renaturation s’appuie à la fois sur la restauration des services écologiques et sur l’état initial de l’environnement. Cela a pour objectif de rendre la ville plus agréable à vivre (bioclimatique, gestion de l’eau, de l’air, du sol…). La renaturation des villes repose sur l’idée que la ville et l’environnement naturel interagissent et se coproduisent. La renaturation est également conçue comme le passage d’une ville « minérale et sèche » à une ville plus « végétale et humide », avec les avantages et les limites de cette mutation.

Les résidents des communautés urbaines dépendent fortement de la biodiversité, notamment pour ce qui est de l’alimentation, de l’air pur, de l’eau potable, de la régulation du climat et des loisirs, entre autres. Ils ont tout intérêt à protéger l’environnement naturel bien au-delà des frontières urbaines. Cette dépendance nous amène à concevoir la ville comme un écosystème, créateur ainsi de services écosystémiques urbains.

La demande sociale pour la « nature en ville » est de plus en plus forte (Jaeger, 2018). Les espaces verts tendent à être aujourd’hui un critère clé d’attractivité d’un quartier et plus largement d’un territoire. Si la nature regagne du terrain en ville, la renaturation peut ne concerner que certains quartiers privilégiés par la politique de la ville, d’autres restant à l’écart. Des quartiers « renaturés » et devenus plaisants peuvent ainsi se vider de leurs populations modestes, en raison de la hausse du prix du mètre carré.

La biodiversité et la nature en ville devraient être présentes dans la politique du logement, de l’urbanisme et des mobilités afin à la fois de limiter l’étalement urbain et de contrecarrer les méfaits de la concentration urbaine. De plus, l’aménagement de connexions, telles que des infrastructures vertes entre les espaces de nature, aujourd’hui complètement morcelés, rétablirait les connectivités écologiques.

La renaturation de ville devient un enjeu pour la cité de demain, et, par l’approche de l’immobilier durable, nous proposons un débat sur les questions suivantes :

  • Afin de saisir de quelle(s) manière(s) la renaturation de villes est mobilisée dans les projets d’immobilier durable, une première approche consiste-t-elle en l’examen de documents de planification ?

  • Dans les projets d’immobilier durable qu’il s’agit de renaturer : de quelle nature s’agit-il (préservation, restauration, recréation) ? Qui demande la renaturation de la ville ? Renaturer est-il un processus de création de bien commun ?

  • Divers acteurs renaturent la ville : les habitants eux-mêmes dans un esprit de « coproduction » des espaces ; les collectivités par les services municipaux, l’État par les politiques d’aménagement. Quelles incitations financières et juridiques pour favoriser la renaturation par les acteurs de la ville ?

  • Par la renaturation, la ville peut-elle être un lieu d’innovation en termes de préservation de la biodiversité et des services écosystémiques ? Quelle place, le cas échéant, pour l’agriculture urbaine ?

  • Comment mesurer et évaluer les services écosystémiques urbains des projets de renaturation ? De quels outils d’évaluation des politiques de renaturation disposons-nous aux diverses échelles (quartier, ville, région) ?

  • Comment l’immobilier durable dans les projets de renaturation peut-il devenir un instrument médiateur des relations villes-citadins dans un contexte de densification ou de surélévation des villes ?

Systèmes urbains durables

L’immobilier, entendu comme l’ensemble du patrimoine construit, tant d’un point de vue architectural qu’urbanistique, est à considérer depuis l’échelle du bâtiment, des unités urbaines (le « pâté de maison », le quartier), jusqu’à la ville dans son intégralité. Il est à considérer sous l’angle de la durabilité, dans son acception la plus vaste, c’est-à-dire un concept qui dépasse les préoccupations écologiques de préservation et d’enrichissement de l’environnement naturel.

Il s’agit à la fois de la durabilité du contexte environnant et de celle, avant tout, des populations et des sociétés qui y évoluent. C’est pourquoi, au-delà de l’immobilier durable, il paraît important aussi d’analyser ces systèmes urbains durables, entendus, pour le cas présent, comme les unités multidimensionnelles de fonctionnement du territoire urbain. Aussi, s’intéresser à l’immobilier durable implique un regard multidimensionnel et systémique sur les facteurs sociaux, économiques, culturels, architecturaux, urbanistiques, technologiques, écologiques, financiers, de gestion, de gouvernance liés au développement des projets urbains, qui influent sur les caractéristiques qualitatives du bâti au sens large, mais aussi sur l’évolution du confort et de la qualité de vie des usagers ou habitants des lieux (contextes et systèmes de vie), ainsi que sur le contexte écologique environnant (milieux atmosphérique, aquatique, pédologique, édaphique, faune, flore…).

Le caractère durable est également rattaché aux possibilités d’adaptation et au pouvoir de résilience de ces différents ensembles, face aux modifications, aux évolutions dont chacun d’entre eux peut faire l’objet, l’immobilier s’inscrivant au sein d’un système urbain duquel il ne peut être détaché.

C’est alors que l’on comprend combien la durabilité de l’immobilier est également associée au concept de mixité en relation avec un contexte territorial, social, culturel, économique, fonctionnel, morphologique, typologique…

Ainsi, aborder la problématique de l’immobilier durable oblige à considérer le sujet d’étude en relation avec son contexte, puisque la durabilité en dépend. Un objet n’est pas durable dans l’absolu ou intrinsèquement. Ce contexte correspond aux systèmes urbains durables mentionnés en amont, lesquels favorisent la réflexion autour d’une approche intégrale de la thématique (à l’échelle de l’édifice, de l’unité urbaine, de la ville ou métropole), qui met en (inter)relation principalement les caractères du bâti, les typologies et morphologies urbaines, les fonctions du territoire, le contexte écologique, les modes de gestion/gouvernance territoriale et bien évidemment les populations, à titre individuel ou collectif.

Plusieurs questions peuvent être posées, et les chercheurs et professionnels sont invités à proposer des contributions originales sur les systèmes urbains durables, et plus largement sur la durabilité de l’immobilier :

  • Dans quelle mesure la question de la durabilité, au-delà des seuls aspects écologiques, est-elle abordée de façon systémique, encastrée dans son environnement et comme un élément contributif aux dynamiques des systèmes urbains ? Quels sont les déterminants de la durabilité de l’immobilier au-delà des seuls aspects écologiques ? La durabilité des projets immobiliers est-elle aujourd’hui conçue de manière systémique, en relation avec le contexte environnant et l’ensemble des dimensions qui participent aux dynamiques des systèmes urbains ? La durabilité des édifices prend-elle en compte les manières d’habiter les espaces, de les partager, d’y vivre ensemble ? Le recours à des outils numériques est-il pertinent, efficace et suffisant dans la recherche de la durabilité de l’immobilier à l’échelle du bâtiment (domotique), de l’unité urbaine (smart city) ? Et ce alors que la collecte des data et leur gestion posent de nouvelles questions quant aux droits de propriété et aux usages possibles présents et à venir.

  • Dans les systèmes urbains durables, quelles places occupent les différents acteurs, y compris les citoyens, futurs usagers de la ville, du quartier, du bâti... ? Comment leur rôle historique et leur responsabilité dans les problèmes environnementaux construisent-ils des systèmes urbains durables ? Dans quelle mesure les différents acteurs peuvent-ils participer, voire codesigner la ville durable ? Quels sont les liens possibles entre les projets d’immobilier durable et la participation publique dans les prises de décision ? Comment concilier l’urbanisme avec les enjeux sociaux, financiers, dans une optique de gouvernance partagée où toutes les parties prenantes sont impliquées dans les processus de décision ? Quelles sont les limites ou les évolutions envisageables des labels, certifications, normes et réglementations qui encadrent aujourd’hui ces initiatives ?

  • Nous nous interrogeons sur les conditions de réussite de la conception et de la réalisation de l’immobilier durable. Nouveaux procédés constructifs, nouveaux schémas organisationnels, nouvelles offres aux usagers, les perspectives multiples témoignent d’une grande capacité à innover et à repenser les schémas traditionnels du construire. Dans le domaine technique, les méthodes de construction telles que la rénovation, la réhabilitation, la requalification, l’ampliation répondent a priori au concept d’immobilier durable (ex. : surélévation). Cependant, elles ne sont pas toujours suffisantes pour garantir la mise en place d’un écosystème durable entre toutes les parties prenantes au bénéfice de l’intérêt général.

  • Plus largement, quelles sont les conditions d’un modèle dépassant la ville comme l’échelon de base dans lequel s’inscrit l’immobilier durable ? La transition du milieu urbain vers un modèle de « développement durable » est la clé d’une articulation harmonieuse des projets immobiliers sur différentes échelles territoriales, et de la mise en œuvre d’une dynamique particulière sur ces sujets.

Boulding, K. E. (1966). The Economics of the Coming Spaceship Earth. Dans H. Jarrett (dir.), Environmental Quality in a Growing Economy (p. 3-14). Resources for the Future/Johns Hopkins University Press.

CIRIEC, Itçaina, X., Richez-Battesti, N. (eds.). (2018). Social and solidarity-based economy and territory from embeddedness to co-construction. P. I. E. Peter Lang.

Cohendet, P., & Simon, L. (2015). Introduction to the Special Issue on Creativity in Innovation. Technology Innovation Management Review, 5(7), 5-13.

Jaeger, A. (2018, juillet). La nature en ville : comment accélérer la dynamique ? Conseil économique, social et environnemental.

Korhonen, J., Honkasalo, A., & Seppälä, J. (2018). Circular Economy: The Concept and its Limitations. Ecological Economics, 143, 37-46.

Pearce, D. W., & Turner, K. R. (1990). Economics of Natural Resources and the Environment. Johns Hopkins University Press.

Ritzén, S., & Ölundh Sandström, G. (2017). Barriers to the Circular Economy – Integration of Perspectives and Domains. Procedia CIRP, 64, 7-12.

United Nations. (2019). World Urbanization Prospects: The 2018 Revision.

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