Les enjeux urbains et contemporains en France, et notamment en Île-de-France, sont depuis de nombreuses années au cœur des débats politiques et publics, ce qui entraîne une évolution constante des thématiques à traiter. La région parisienne, outre son statut de territoire national stratégique, se trouve au centre de ces mutations urbaines depuis près de deux siècles.
L’industrialisation de la région dès le début du xixe siècle, puis sa désindustrialisation cent ans plus tard, l’évolution de sa démographie, les importantes vagues d’immigration au cours du xxe siècle ainsi que la modification des usages et des attentes des populations ont contribué à transformer les dynamiques urbaines, et en particulier celles de la Seine-Saint-Denis.
Marqué par une histoire singulière empreinte de dynamisme industriel et démographique, le département de la Seine-Saint-Denis s’est développé à travers un prisme social au cours des deux derniers siècles. Ce développement, peut-être trop soudain et insuffisamment réfléchi, a fortement désorganisé le tissu urbain et démographique de ce territoire, aujourd’hui caractérisé par un réel manque de mixité sociale, de qualité architecturale et environnementale.
La Seine-Saint-Denis au centre des enjeux urbains d’hier
Au début du xixe siècle et de l’industrialisation française, les territoires au nord de Paris, qui ne sont pas encore connus comme faisant partie du département de la Seine-Saint-Denis1, figurent parmi les seuls de la région à pouvoir être industrialisés. Ainsi naît le développement de la périurbanisation autour de Paris, marqué par la construction massive d’usines, d’entrepôts et de fabriques ainsi que par la création de moyens de transport complémentaires.
Comme cette industrialisation massive nécessitait une main d’œuvre conséquente, il était important à cette période de fournir des logements aux ouvriers qui venaient s’installer dans cette zone. Ces lieux de vie étaient souvent aménagés par les employeurs eux-mêmes, dont l’objectif de productivité déterminait en grande partie la manière dont les logements étaient conçus. C’est dans le cadre de cette problématique que l’habitat collectif précaire est apparu, notamment dans le sud du département, et que les quartiers pavillonnaires de Seine-Saint-Denis se sont multipliés à la fin du xixe siècle.
Dans un second temps, deux événements ont fortement marqué les enjeux urbains de la Seine-Saint-Denis au cours du xxe siècle : la fin de la Seconde Guerre mondiale, puis le début des Trente Glorieuses, et la période de décolonisation.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, un effort de reconstruction, particulièrement en matière de logement, était impératif pour la Nation. À cette reconstruction s’est ajoutée la nécessaire construction, engendrée par l’essor économique et démographique des Trente Glorieuses. Cette période, correspondant aux années 1945 à 1975, verra également l’apparition massive de travailleurs immigrés et d’expatriés français de retour sur le territoire métropolitain du fait de la décolonisation. Les besoins en logements de la seconde moitié du xxe siècle sont donc considérables et vont profondément influencer la stratégie urbaine du territoire.
Cette crise du logement entraîne une vague soutenue de constructions de logements en Île-de-France, et notamment en Seine-Saint-Denis, et voit l’émergence d’un nouveau type d’habitat : les grands ensembles. À la veille d’une grande ère de croissance, le territoire de la Seine-Saint-Denis est confronté à une problématique de construction et de réhabilitation de son patrimoine et de ses espaces industriels. De plus, à cette même période, le territoire est composé de nombreuses communes administrées par le parti communiste, dont les objectifs sont d’améliorer les conditions de vie des ouvriers et des nouveaux arrivants sur son territoire. Pour cela, de nombreuses expériences urbaines vont émerger.
Ce bref historique, qui sera détaillé dans la suite de ce mémoire, explique l’environnement urbain actuel de la Seine-Saint-Denis, caractérisé par la forte proportion de logements sociaux dans la répartition géographique actuelle.
L’intensité urbaine au cœur des enjeux actuels de la Seine-Saint-Denis
À partir de cette contextualisation, nous pouvons entrevoir deux des principaux enjeux urbains qui prédominent en Seine-Saint-Denis : la densification, d’une part, et la mixité sociale d’autre part.
Premièrement, aborder les problématiques de densification urbaine en Seine-Saint-Denis peut sembler paradoxal après avoir évoqué les grands ensembles et la politique de construction massive de logements. Pourtant, la densification n’est pas initialement liée à ce type d’habitat en Seine-Saint-Denis, bien qu’il y contribue, mais davantage à celui de ses quartiers pavillonnaires. L’étalement urbain est une véritable question d’actualité pour les communes et les collectivités car il est à l’origine d’un certain nombre de problématiques connexes, comme l’artificialisation des sols, la pollution ou encore l’augmentation du trafic routier et sa saturation.
Secondement, les différentes solutions urbaines et sociales trouvées pour répondre aux besoins en logements à la fin de la Seconde Guerre mondiale et lors de la décolonisation française n’ont fait qu’accentuer les problèmes de mixité sociale que le département connaissait déjà depuis l’industrialisation. Il est donc évident, et ce depuis de nombreuses décennies, que la Seine-Saint-Denis présente un déséquilibre en termes de mixité sociale et que, par conséquent, elle soit dans une logique de gentrification de son territoire afin de réduire l’écart social avec ses voisins franciliens, tout en lui assurant une meilleure attractivité.
Mais le territoire est hélas également confronté à d’autres problématiques qui résultent de ses choix urbains au cours des deux derniers siècles. La « démocratisation » des grands ensembles en France, dont a largement bénéficié la Seine-Saint-Denis, a entraîné une importante pauvreté architecturale dans les zones concernées.
En plus de ces grands ensembles, le département est constitué d’un très important tissu pavillonnaire, y compris à proximité de Paris. La qualité et l’entretien de ces habitations restent très hétérogènes ; il est donc fréquent de trouver, même près des centres-villes, des lotissements de mauvaise qualité et/ou très peu entretenus, affectant ainsi fortement la qualité architecturale du territoire.
Par ailleurs, la Seine-Saint-Denis a un fort passé industriel qui a encore un impact dans de nombreux secteurs. Le département présente ainsi de nombreuses zones industrielles désaffectées ou des friches urbaines qui ont aussi des conséquences négatives sur la qualité architecturale et environnementale des quartiers touchés.
Enfin, un problème de mixité fonctionnelle peut également être identifié sur le territoire, indirectement lié à son histoire. Le département souffre également de peu de diversité dans son offre de commerces, mais également d’entreprises, qui relèvent principalement des activités de la construction et de l’industrie. Les activités de services pouvant accueillir un grand nombre de cadres n’y sont pas nombreuses. La combinaison du manque de mixité sociale et du manque de mixité fonctionnelle soulève donc un réel souci d’attractivité du territoire, notamment pour la population dont le département a grandement besoin : les classes moyennes et aisées.
Afin d’inverser la tendance, il serait intéressant d’étudier la possibilité de mettre à profit ces problématiques de manière positive, notamment à travers la notion d’intensité urbaine. L’objectif de ce mémoire de recherche sera, dans un premier temps, de définir l’expression « intensité urbaine » et d’identifier les moyens d’« intensifier » un quartier puis, dans un second temps, d’analyser par le biais d’enquêtes le potentiel de l’intensité urbaine comme outil d’attraction des populations actives, notamment des cadres.
La problématique est donc la suivante : l’intensité urbaine peut-elle être utilisée comme un moyen d’attractivité pour le département de la Seine-Saint-Denis ?
Plan
Afin de répondre à cette problématique, nous allons diviser notre réflexion en cinq grandes parties :
Tout d’abord, nous réaliserons une étude du département de la Seine-Saint-Denis. Nous aborderons plus en détail son histoire et les différentes causes qui ont influencé le tissu urbain de ce territoire. Puis nous ferons un état des lieux de la Seine-Saint-Denis en analysant les informations sociodémographiques et les avis de la population sur différents thèmes afin d’en tirer des conclusions factuelles et chiffrées.
Dans une deuxième partie, nous aborderons le concept d’intensité urbaine.
En troisième partie, les concepts à l’origine de la notion d’intensité urbaine seront présentés.
Dans une quatrième partie, différents outils et moyens possibles de mise en œuvre de l’intensité urbaine seront décrits, appuyés par plusieurs exemples.
Enfin, dans la cinquième et dernière partie, nous exposerons les résultats des enquêtes réalisées, puis nous conclurons en proposant une réponse à notre problématique.
Méthodologie
Afin de répondre à cette problématique, le parti a été pris de mener des enquêtes quantitatives dans le but de définir si et dans quelle mesure la mise en place de quartiers intenses en Seine-Saint-Denis permettrait de capter des populations en dehors de ce département. Ce choix méthodologique a été fait afin de recueillir les avis d’un groupe très hétérogène de répondants et donc d’obtenir des résultats à partir d’un panel diversifié.
L’un des objectifs de cette étude est également de pouvoir mener notre analyse auprès des populations de professionnels et de cadres. Chaque questionnaire envoyé contient donc des items qui nous permettent d’établir le profil des répondants. Pour comprendre l’impact de l’intensité urbaine sur les critères d’emménagement et son potentiel d’attractivité pour la Seine-Saint-Denis, il a été décidé de réaliser deux questionnaires.
Une première enquête a été menée auprès des répondants qui vivent déjà dans un quartier intense dans le but de saisir leurs motivations et leurs habitudes de vie. Le quartier des Docks de la ville de Saint-Ouen-sur-Seine a été choisi à cet effet.
La seconde enquête a ciblé les personnes qui n’habitent pas en Seine-Saint-Denis ; il s’agit d’apprécier dans quelle mesure l’intensité urbaine pourrait influencer leurs opinions quant à un éventuel déménagement dans ce quartier.